André Beaugé, l’initiateur du projet des « Castors Peugeot »

Il participe à la brève campagne de 1940 et est fait prisonnier près de Lorien.
Cinq années de captivité dont un an en Prusse Orientale, dans des conditions particulièrement difficiles, vont le marquer à jamais. C’est parmi les prisonniers, originaires de milieux populaires et défavorisés qu’il prend conscience des difficultés et de la précarité de la classe ouvrière. A la Libération, il devient prêtre-ouvrier dans l’industrie automobile. Sans arrière pensée cléricale, guidé uniquement par son aversion de l’injustice, la souffrance des autres et l’Evangile, il fait tout pour améliorer les conditions de vie des ouvriers et aboutir leurs revendications.
Devenu même quelque temps délégué syndical dans cette dure période de la crise du logement de l’après-guerre, il obtient de la direction les financements pour la construction de logements au profit des ouvriers.
Il retourne chez les Capucins où il étudie et médite cette douloureuse équivoque, ou plus exactement le paradoxe entre son engagement et son action en parfaite harmonie avec l’Evangile et les décisions de la hiérarchie de l’Eglise.
Sa réflexion le conduit à étudier le dualisme platonicien qu’il développera dans un magnifique livre « L’Evangile oublié » publié juste après sa mort.
Prenant ses distances avec sa hiérarchie, il décide de partir à Kerguelen en avril 1956, d’abord comme ouvrier pour l’administration des Terres Australes et Antartiques Françaises, puis comme employé de la Société Industrielle Des Abattoirs Parisiens, la dernière société phoquière créée par Marc Pechenart.
Tour à tour mécanicien, infirmier, menuisier, cuisinier, mais aussi biologiste, il exerce également son ministère. C’est lui qui célèbre le premier mariage dans nos îles australes : le 16 décembre 1957, dans la menuiserie de l’usine phoquière, il unit Marc Pechenart et Martine Raulin, en présence de tous les hivernants des T.A.A.F. et de l’usine.
La forte personnalité d’André Beaugé aura marqué tous ceux qui l’ont rencontré. Son abnégation, sa bonté, son charisme, sa prodigieuse intelligence subjuguent tous les hivernants de Kerguelen, chrétiens ou non, musulmans ou autres. C’est avec eux qu’il a construit la chapelle de Kerguelen « Notre Dame du Vent ». Tous y participent après les heures de travail, et même le dimanche. Le gros œuvre achevé, il dessine les vitraux qu’il fait réaliser et finance lui-même. Le 11 juin 1960, il peut célébrer sa première messe dans cette petite chapelle, aux lignes et aux proportions harmonieuses tirées du nombre d’or.
Début 1961, il revient en Métropole et devient technicien biologiste au C.N.R.S. et travaille au Muséum de Paris. Il est docteur ès sciences après avoir soutenu en Sorbonne une thèse sur le chenopodium.
En 1965, il se joint à une équipe de plongeurs qui part au Canada réaliser des films sur les animaux des eaux froides. Puis il reste dans ce pays où il est engagé comme biologiste par le gouvernement d’Ottawa.
Il travaille au ministère fédéral des pêches et c’est dans ces fonctions qu’il va encore se battre pour les plus défavorisés. Il aide les pêcheurs acadiens à s’organiser et à créer un syndicat professionnel leur permettant ainsi d’avoir de meilleures conditions de vie et d’obtenir des aides gouvernementales.
Il réintègre le C.N.R.S. en 1967 et, jusqu’à sa retraite prématurée en 1971 à la suite d’un grave accident. Il travaille sur les pollens au laboratoire de palynologie de la faculté de Marseille, où il enseigne également. Il étudie aussi la dégradation de la forêt méditéranéenne, et ses conclusions, quant aux origines et aux moyens de lutter contre cette dégradation, sont éloignées des thèses officielles.
En 1975, il épouse Jacqueline La Palme, une enseignante canadienne retraitée. A ses côtés il va poursuivre sa méditation et son étude sur l’incompréhension fondamentale entre l’engagement des prêtres et la hiérarchie de l’Eglise.
Tous ses amis, tous ceux qui l’ont connu à Kerguelen, se rappellent de son regard profond qui scrutait l’âme, réceptif et attentif à toute détresse humaine. Il savait écouter, réconforter, payer de sa personne. C’était aussi un sage. Citoyen du monde, homme d’action et de conviction au rayonnement hors du commun, il s’est éteint le 19 septembre 1997.
Source : Pierre Couesnon