Table des matières
Daroux et les autres tiennent à rappeler un bon souvenir
Le Bouquet final
« Il ne faut pas oublier quelque chose de très important. Je veux dire qu’il faut parler du bouquet, celui qu’on accrochait en haut de chaque maison terminée. (rires prolongés…)
– « Pourquoi riez-vous ? – Oh là là, c’était parfois scabreux … on faisait la fête, on arrosait ça. C’était terrible ! »
En cette occasion, on oubliait un peu le travail donné. Les 4000 heures de travail pour chacun. « Faites le compte, cela fait 170 000 heures données, par tous les temps, dans la grisaille et le froid des week-ends de l’hiver ou sous le soleil ardent des deux semaines de congés payés. Un hiver, on a eu la neige. Cela méritait bien les moments de rigolade et de détente amicale qu’offrait chaque nouveau propriétaire. On arrosait chaque nouvelle victoire et tant pis si, d’aventure, quelque vaillant travailleur se retrouvait à traîner un peu par terre… qu’il fallait retourner chez lui avec la brouette ! »
A la foire sur la brèche
Francis Jéhin croit se souvenir d’un dimanche où un bruit se répandit sur le chantier : »On va finir la journée à la Foire sur la Brèche ». Et – miracle ! – tout le monde cessa le travail et se rendit sur la foire pour se détendre un peu et flâner autour des stands qui proposaient tant de nouveautés modernes … Il est le seul à se souvenir de cet épisode …
Le dimanche jour des femmes… et des Niortais
« Le dimanche, c’était le jour où les épouses, avec les enfants, venaient apporter le manger aux travailleurs. Car il faut bien rappeler les sacrifices faits par nos épouses qui acceptaient de voir réduits à rien les moments de détente en famille. Pour elles, plus de jour de congés, plus de vacances. Elles restaient seules avec les enfants, alors que nous avions quand même, nous les hommes, la compensation de la chaude camaraderie du travail collectif. «
Le dimanche, c’était aussi le jour où les Niortais venaient en groupes observer le spectacle insolite de cette fourmilière. D’une semaine à l’autre, ils pouvaient suivre l’avancement de l’œuvre entreprise. Et, sans doute, beaucoup de ceux qui venaient là en spectateurs auraient voulu partager le sort de ces constructeurs qui, bientôt, allaient quitter définitivement leurs petits logements pour une habitation où chacun de leurs enfants, aurait peut-être sa chambre à lui tout seul…
Affaire d’argent
Le financement, c’était l’affaire des dénommés Larignon-Thebault : le crédit foncier, une prime à la construction sur 20 ans de 75 000 F accordés au départ dès la maison terminée. En gros, le prix de revient de la maison était compensé par la prime. »Ainsi, dira Robert Protteau, ma maison m’est revenue seulement à un million ancien « .
Sinon, on pouvait évaluer la valeur de chaque maison à 18000 F de matériaux et 12000 F de travail (en gros 4000 heures à 30 F) , soit : 30 000 F).
« Moi, ma maison m’est revenue, prime comprise, à 13.500F » précise Pierre Barbotin.
Des maisons « prêtes à vivre »
Le premier lot de 6 maisons sera attribué d’un coup, un an après le début des travaux. Ensuite la livraison se fera à une cadence régulière, selon l’achèvement des constructions.
« Quand on rentrait en possession de sa maison, tout était complètement fini et posé… Même le lustre ! » dira Pierre Barbotin. « Nous avions acheté un ponceuse de parquet. On s’est arrangé avec les gars de l’Avenir : Ils ont poncé tous les parquets et, le travail fini, on leur a donné la ponceuse ».
« Ce sont eux qui fournirent les huisseries, portes et fenêtres. Mais nous avons tout posé et peint, y compris les meuble des cuisines. »
Le travail après l’emménagement
Un naïf pose la question : « Ceux qui avaient touché leur maison, continuaient-ils de travailler ? (Enorme éclat de rire…)
« Et comment ! Et même, comme ils étaient sur place, quand arrivait, certains soirs en semaine, un camion de sacs de ciments, c’était eux qui se coltinaient le déchargement ! Ils étaient aux premières loges pour les corvées. »
En somme, on acceptait la loi du travail solidaire et ses contraintes.
Pas de chance pour le dernier
« André Crémault nous a dit tout à l’heure qu’il avait été le dernier servi. Mais qui c’est qui a eu la plus petite parcelle ? Eh bien, c’est moi, Robert Thébault ! Il en fallait un ! «
Les Allocs
« La maison occupée, pour pouvoir toucher l’allocation-logement, on payait tous les mois un loyer à la société qui restait propriétaire théorique ». Et Robert Protteau ajoute : « C’était un peu tiré par les cheveux, cet artifice, et à la limite de la légalité, faut le reconnaître… »
Solidaires avec les successeurs
« Quand tout a été terminé, il a fallu liquider le matériel. On l’a cédé à un deuxième groupe « Castors » qui construisait 30 maisons au Prieuré St Martin. » – On leur a aussi avancé de l’argent qui nous restait, précise Robert Thébault, ce qui leur a permis de démarrer sans trop de difficultés. »
Congrès National
« Un congrès national de coopérateurs a eu lieu à Niort. On participait tous les ans au congrès des « Castors. Il a été reconnu que nous avions été les seuls en France – y compris chez les « Castors » – à avoir mené à son terme un chantier aussi important, strictement par nos propres moyens (sauf le plâtre !). Ailleurs, ils faisaient faire le gros oeuvre par des entreprises, comme « L’Avenir » le fit pour son bâtiment collectif, ainsi que les membres de « L’autoconstruction ». Nous avons toujours eu de bonnes relations avec les camarades de l’Avenir des menuisiers qui était une coopérative ouvrière de production. Ils ont même mis leur machines à notre disposition pour faire des échelles en bois. C’était sympa. »
Productivité
« Si l’on fait le bilan, on peut dire que notre « productivité » était très satisfaisante. Quarante cinq maisons construites en quarante cinq mois, cela fait une maison (clefs en main) par mois ! On fait pas mieux. »
La fête finale
« Puisque nous arrivons au bilan, rappelle Michel Daroux, n’oublions pas la fête finale. Pour les derniers servis, nous avions fait venir un tivoli qui fut monté sur la place des Pâquerettes, pour un casse-croûte suivi d’un bal. C’était très bien. Vous souvenez-vous ? On a tous eu la surprise d’un cadeau-miniature. Pour l’un c’était un petit marteau, pour l’autre une minuscule truelle… Moi, ajoutera le menuisier, j’ai eu un rabot en bois. Le voilà, je l’ai conservé. Il ne mesure pas 3 cm.. ».
Les couples ont résisté
Une dame fait un bilan à sa manière : » Ce qu’il faut dire, c’est que durant toute cette période, malgré les difficultés, il n’y a pas eu un seul divorce. »
Une autre ajoute : « C’est à dire qu’à l’époque, on était pas trop regardants. Sans voiture, il n’était pas trop question de loisirs, ni d’aller au bord de la mer. Alors, on supportait mieux de rester chez soi sans beaucoup de distractions ».
Le menu de Sainte Néomaye
Francis Jehin a conservé une autre relique qu’il a apportée pour montrer aux autres : le menu du banquet final, pris à Ste Néomaye, quand tout fut terminé. Repas copieux, à la mesure de l’appétit des convives.
Documents
André Crémault nous montre sa carte d’adhérent à la société des Castors (1er janvier 1953). D’autres ont apporté des documents, des plans, le livre des délibérations, des actes notariés, des photos… Le tout, sorti d’un fond de tiroir… Un peu oublié, un peu jauni et défraîchi…
Epilogue
Faut-il en rajouter ? Pour tous ceux qui sont là, autour de la table, quelle parole rendra la saveur inoubliable de cette époque, ce temps lointain de leur jeunesse et de leurs espérances ?
Ces mots prononcés par l’un d’eux, peut-être …
« Ce que j’ai retenu, c’est que le dimanche matin, au casse-croûte, on avait sa petite douzaine d’huîtres. Pour d’autres, c’était un gâteau… C’était un petit plus… ».
Oui, ce temps-là, pour eux, ça reste du gâteau !