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Des enjeux politiques

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Des enjeux politiques

Les sociétaires Castors, étaient pour partie, syndiqués. Mais les options politiques n’étaient pas toutes les mêmes.

La construction des Castors sur la Commune a amené du positionnement politique. Ainsi, lorsque qu’un bureau fut créé, M. Defos du Rau, engagé politiquement au MRP, fut leur conseiller juridique.

« Le député Defos du Rau, âgé, disparu de la vie politique, son fils, l’avocat Xavier Defos du Rau, resta le conseiller juridique et travailla longtemps avec le bureau. Les Castors lui doivent d’ailleurs une belle chandelle car il les a sauvé de problèmes très importants avec le Crédit Foncier » écrit Marc Darbos dans le document dactylographié qu’il distribua aux Castors (1).

Mais le jour où un ministre devait venir dans la région, M. Defos du Rau voulut utiliser Les Castors comme « vitrine » remarque Max Lavielle, ajoutant : « on n’a pas voulu être utilisés. On a fait barrage, nous avons dit que nous n’étions pas d’accord. ». D’autre part, alors que « les relations avec le Crédit Foncier ne furent pas toujours faciles, vers 1956, c’est l’intervention d’un sénateur socialiste (M. Minvielle) qui nous tira d’affaire » lit-on également dans le document de Marc Darbos.

Les enjeux politiques y sont. St Paul est une ville historiquement de gauche. Elle l’est toujours. Marc Darbos écrit : « le parrainage d’origine, vu de la Mairie de St Paul, gênait un peu quelques édiles. Mais il se trouva à ce moment-là des hommes compréhensifs et tout se passa harmonieusement pour les problèmes de voirie, électrification, eau, etc. ».

Cet écrit rejoint les propos de Max Lavielle : « La ville s’est ensuite beaucoup investie. Elle a payé les routes et tous les trottoirs. On a même été les premiers à avoir l’eau. Les gens venaient voir. Elle a payé aussi le transformateur. L’électricité nous est revenue moins chère ».

Max Lavielle et André Touya ajoutent : « A Bordeaux, ils ont fait un château d’eau. Pas ici, c’est la ville qui l’a fait. On a pu refermer notre puits  ».

Etre partie prenante, la dimension esthétique de l’habiter

Il m’importe d’entendre leur parole. Je la reçois ici à un double niveau : celui d’une qualité de vie, une approche esthétique de l’habiter, alliée à une idée de participation citoyenne.

Tout d’abord, je voudrais témoigner de l’importance pour ces hommes et ces femmes, d’avoir fait leurs maisons et de les avoir choisies. Témoigner aussi du fait que trop souvent, dans les constructions  de cités (maisons ou appartements), la place éventuelle, la parole, le rôle possible de futurs habitants dans la pensée de l’habitat ne sont quasiment jamais envisagées. C’est tout un sens de l’habiter qui est mis à mal. « D’habitude c’est toujours l’architecte qui décide » remarque avec finesse Mr Lavielle, « alors que nous, on a fait les plans avec l’architecte. La ville a fait dans la cité à côté des Castors un ensemble de maisons : mais elle faisait rectiligne, ça fait cité, les maisons sont uniformes ».

Les deux Castors hommes s’accordent pour dire :

« Nous ne voulions pas ça : on voulait pouvoir choisir. Tout d’abord, quand le géomètre a tracé les routes et les métrages des maisons, nous avons voulu que l’ensemble de nos maisons aient la forme d’un village. C’est pourquoi au milieu, il y a une petite place ». C’est aussi une demande des futurs habitants : « nous voulions des espaces verts autour ».

Cette place a été très rapidement le terrain de jeu des enfants. Après l’école, les week ends et aux soirées d’été, ils s’y retrouvaient. Un esprit de confiance s’y tenait. Les enfants gagnaient ainsi une part de liberté et le plaisir de se retrouver entre eux, souvent par groupes d’âges, parfois pour des jeux plus collectifs.

Chaque année, au feu de la Saint-Jean, tous les Castors se retrouvaient sur la place. Un grand feu se faisait, c’était un moment de convivialité. Quand venait le temps de sauter le feu, tout le monde participait. Les enfants les plus jeunes le faisaient également, sur les épaules des parents.

Les propos suivants montrent l’importance du souci d’une qualité de l’habiter. Suffit-il d’avoir un logement ?  « Nous voulions de la diversification » disent-ils. Max Lavielle précise : « nous ne voulions pas de maisons rectilignes. Nous ne voulions pas de maisons uniformes. Notre désir c’était de pouvoir changer les façades, les intérieurs. » Et ce fut fait.

Il y a trois modèles de maisons Castors, et trois tailles. Chaque maison Castor dispose d’un terrain de 500 à 800m2 environ.

Chaque famille, selon ses possibilités et ses souhaits a pu choisir celle qui lui correspondait le mieux. Mais des aménagements ont été apportés.  Si l’on regarde aujourd’hui l’ensemble des maisons  Castors à St-Paul et à Dax, une diversité certaine de façades apparaît. Les modèles s’y retrouvent, on identifie la patte « Castors ». Ainsi, la plupart présente sur la face la plus exposée une grande baie vitrée en forme de demi-lune. Mais chaque maison a sa différence.  Pour l’intérieur, il en fut de même : possibilité de moduler l’emplacement de l’escalier pour celles qui disposaient d’un étage, ou de choisir le nombre de chambres : par exemple, une grande pièce ou deux petites.

Mme E. témoigne : « je me souviens d’avoir demandé à changer l’emplacement d’une porte. Je n’y connaissais pas grand-chose mais cela ne me semblait pas fonctionnel. Je voulais que la salle de séjour et la cuisine puissent communiquer. Je ne regrette pas ce choix ».

A la question, « Sans les Castors, auriez-vous pu devenir propriétaires ?» la réponse de Max Lavielle est « peut-être, il y avait des aides, mais cela aurait été des maisons toutes identiques et on aurait plus eu qu’à acheter ».

Tout homme a besoin d’autrui pour vivre et qualifier son existence. De cette rencontre, il se fait, il s’arrange de ce qu’il est, de l’histoire de ses relations dans des espaces et des temps vécus. Il s’arrange, ou il tend à trouver l’arrangement dans lequel il se sentira au mieux. Il est engagé physiquement, psychiquement. Habiter participe de cela. Il y a une dimension esthétique : l’esthétique c’est le souci du beau, mais pas seulement. C’est aussi le sentir, l’éprouvé, dans un milieu donné.

Cela passe par l’environnement extérieur aux maisons qui fait aussi « l’habiter ». Les Castors et leurs enfants ont par exemple vécu au rythme familier de la ligne de chemin de fer et des trains y circulant.

« Quand on entend le haut-parleur de la gare, c’est qu’il va pleuvoir » remarquait Mme E.

Pourrait ainsi être déployée toute une géographie de sensations, portées par des routes, chemins de terre, chemin de fer, barrière de passage à niveau, d’Adour, d’odeurs spécifiques et de bruits particuliers. « La maison est le premier monde de l’être humain » dit le philosophe Gaston Bachelard, car il s’agit bien comme le titre de son ouvrage l’indique d’une « Poétique de l’espace ». « Esthétique » dit cela aussi. Habiter c’est pouvoir se rassembler, c’est être, un être de valeur, c’est aussi du rêve, un espace rêvé, un espace qui donne à rêver. Peu importe alors comment chacun a aménagé son espace : qui pourrait en juger ? Importe le plaisir d’avoir été partie prenante : « c’est une grande satisfaction » disent-ils…

Etre partie prenante, la dimension citoyenne de l’habiter

L’esthétique de l’habiter qui permet l’expression des désirs individuels ne prend réellement sens qu’articulée à une dynamique plus collective. Ainsi que le remarque le philosophe Bernard Stiegler, l’épanouissement de l’individu est « toujours et indissociablement un je et un nous, un je dans un nous ou un nous composé de je, incarné par des je (2)». Pour qu’un ‘’je’’ puisse se prononcer, il faut des soutiens, il lui faut également partager un fond commun, duquel il se situera. La participation de chacun est liée à ce soin, à cette responsabilité politique qui donne sens à ce que je et nous puissent se répondre, se tenir.

« Opposer l’individuel et le collectif, c’est transformer l’individuation en atomisation sociale produisant une troupe grégaire » ajoute le philosophe. (je souligne) Les Castors de Saint-Paul n’ont pas la même histoire que celle de ceux de Pessac (33). J’ai pu écouter « Paroles de Castors » film de témoignages réalisé par Jean-Paul Lascar de Périféries Productions à la demande de l’Association Syndicale de Pessac en 2002, la dimension politique y est clairement présente : le projet était collectivement porté par un projet politique. A Saint-Paul, cette dimension est plus en retrait même si nombre de cheminots étaient syndiqués par exemple.

La perspective de construire quelque chose en commun a eu pourtant une dimension fondamentale : Emilie Lacroix dit : « ça a créé une solidarité ». C’est une phrase que les autres témoins ont également prononcé. Et elle ajoute : « ils s’aidaient les uns les autres et s’apprenaient. Par exemple pour l’électricité ». « Nous étions très complémentaires » ajoutent les deux hommes Castors.

Max Lavielle dit également : « on se serrait les uns avec les autres. Cela nous unissait. Quand il y avait des décès, des naissances. Les enfants se mélangeaient. Il y avait de la cohésion, de l’entraide. Cela a été une grande expérience humaine. On se connaissait, on vivait ensemble. Quand quelqu’un était ennuyé, nous étions là. »

Tous ne l’expriment pas de la même manière. Ainsi Mme E. : « les femmes n’ont pas trop éprouvé l’esprit Castor, nous étions trop occupées à tenir la vie quotidienne, le bien-être de la maison ». Partant de « rien », les femmes composaient avec un budget extrêmement serré : « je faisais moi-même les broderies pour les robes de mes filles. J’achetais le tissu et je brodais toutes les robes. Et puis, dans le manteau de l’une, je retaillais un manteau pour l’autre »…

Où l’on voit que les femmes travaillaient également à toute heure et tard encore, au point de broderie, quand les enfants étaient couchés.

Emilie Lacroix ajoute cependant : « pour les enfants, c’était bien. On avait des enfants partout. Je me souviens qu’ils venaient tous ici. Il y en avait tous les jours. » Cela produit des prolongements remarque-t-elle : « cela a donné des façons d’être, des comportements ouverts aux voisins ».

Ce travail en commun a nécessité en même temps de se donner des règles, d’observer un suivi très régulier des comptes et du budget. Cette implication et le souci du travail suivi se trouvent dans les documents restant à ce jour et dans les propos des témoins. « Au tout début, chaque Castor payait tous les trois mois. Très rapidement, nous l’avons fait tous les mois pour que chacun puisse payer. On n’a eu aucun problème de règlement ».

La société a pu arrêter les crédits en cours en 1978. Le 26 novembre 1978, un repas collectif fut organisé. Un carton d’invitation fut réalisé, en liège, pour chaque Castor, par un Castor. A son en-tête, il est écrit : « Castor 1950 –1978, Dax – Saint-Paul-Lès Dax : Un pour tous – tous pour un ».

Dans leurs récits, ces hommes et ces femmes disent très peu les fatigues. Plus leur situation financière était précaire, plus ils travaillaient sur le chantier. Pourtant, le dur travail a été une réalité quand on entend le déroulement de leur histoire, de leur implication et le détail des travaux. Mais ce qui importe pour eux, c’est la satisfaction d’avoir fait eux-mêmes et ensemble.

Que peut la main ? se demande le sociologue Richard Sennett. Il relève que le travail de la main n’est pas, comme on le dit trop rapidement, un «moyen en vue d’une fin». Elle veut, elle tient à «l’excellence du travail en soi». Ce qui compte et que je retrouve dans les propos de ces femmes et de ces hommes Castors, c’est aussi « le désir de bien faire son travail en soi».

« C’était une expérience extraordinaire qui peut-être ne se renouvellera pas » observe Mr Lavielle.

1 – Histoire de la naissance d’un quartier, Marc Darbos, septembre 2000
2 – 
Aimer, s’aimer, nous aimer, Bernard Stiegler, Editions Galilée, 2003

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Copyright Association Culturelle des Castors de Pessac | Juin 2019