L’incroyable aventure des Castors de Clair Logis
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Ils entreprennent de construire eux-mêmes leur logement
Soixante dix-huit ouvriers, petits employés, tous mal logés, ont entrepris de construire eux-mêmes leur logement. C’était en 1948. Ainsi est née la Cité de Clair Logis, à Montreuil.
Juste à côté du parc Montreau, se niche une petite cité tranquille. Des bâtiments à deux ou trois étages, entourés d’allées verdoyantes. Soixante dix-huit logements en tout. Le Clair Logis, ou, diront certains la « Cité des Castors ». Un quartier à l’histoire extraordinaire, celle de ces hommes décidés à construire de leurs propres mains leur logement.
L’aventure débute en 1948. Nous sommes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. A Montreuil comme beaucoup ailleurs, les bombardements ont fortement endommagé le parc d’habitations. La crise du logement frappe principalement les familles les plus pauvres. Il faut reconstruire, vite. Mais la question du logement n’est pas l’enjeu majeur des luttes politiques nationales du moment.
Squatters et Castors
Du manque de moyens publics mis en oeuvre, naissent en réaction deux mouvements : les Squatters et les Castors. A l’insuffisance des réquisitions publiques de logement, répond l’occupation des squatters. A celle de la construction, l’auto-construction des Castors.
« On a fait un peu de squat dans des maisons inoccupées, mais moi, avec quelques autres, ont s’est aperçu que ça n’allait pas loin, il faudrait attendre extrêmement longtemps, il y avait déjà des enfants qui arrivaient. Alors on a pensé à… l’auto-construction ».
Se souvenait Lucien Bénière (voir sa biographie), l’homme, ancien résistant, fut le fondateur du deuxième chantier Castor de France à Montreuil, après celui de Pessac, en Gironde.
Le mouvement Castor, du nom de l’animal qui construit sa propre demeure, était né. Cependant, l’Union Nationale des Castors n’y voit pas là une solution au problème du logement. Il s’agit pour eux d’un palliatif regrettable et ils tiennent à ce que leur geste de constructeur soit aussi un acte de protestation.
Pour inscription : une pelle et une pioche

A Montreuil, tout est parti de la communauté ouvrière du Bois. Sous l’impulsion de Lucien Bénière, ils forment une équipe de 78 personnes, bien décidées à manier pelles et pioches, après plusieurs tentatives infructueuses de squattage.
« On vivait dans une pièce et j’attendais un deuxième enfant. Nous avons squatté un ancien couvent, nous étions plusieurs familles dans un dortoir », se souvenait Colette Rung, »Castor depuis 50 ans » tenait-elle à préciser, « mon mari a été l’un des premiers à participer à l’aventure. »
Paul Martel se greffa lui aussi à cet invraisemblable projet. « Nous étions tous pauvres, ouvriers ou petits employés, jeunes et déjà chargés de famille, mal-logés, sans possibilité d’acheter un logement. Il n’y avait pas de solution », résumait ce Castor, alors employé de bureau à la Compagnie des Eaux. « J’ai vaguement appris que des gars voulaient construire eux-mêmes leur maison, j’ai bondi sur l’occasion. Lucien Bénière m’a dit « prends une pelle et une pioche, c’est ton inscription ». Des pelles, j’en avais bien vu en photo, mais je n’avais jamais touché à cet engin-là. Les débuts ont été épiques »
Trouver un terrain et des financements
Pour obtenir un terrain, les Castors se rendent en mairie. Ils obtiennent un bail emphytéotique (99 ans) pour la somme symbolique d’un franc par an. Un prêt relais leur est accordé par la Caisse d’Allocations Familiales.
Mais toutes ces démarches auront nécessité plus de deux ans.
1951, début du chantier
En 1951, le chantier peut enfin démarrer. L’endroit est un terrain vague, vite rempli de boue dès que les premiers trous sont creusés.
Ils étaient 78 familles, il y aura 78 logements.
« Ma fille est née le 2 juin 1951 et mon mari a donné son premier coup de pioche le 3 juin, le lendemain » se souvenait Andrée Dapsence. Jean son époux , est alors cheminot à Pantin. Comme les autres, il donnera de ses vacances, de ses dimanches et de ses temps de loisirs pour travailler sur le chantier.
Apport-Travail et embauche d’ouvriers spécialisés

« Nous devions travailler en moyenne un jour par semaine, c’est à dire 40 heures par mois en plus de notre travail et du reste », explique-t-il. Ici l’originalité a été de bâtir des immeubles collectifs, de deux ou trois niveaux, mais aussi de refuser de faire appel à des entreprises.
Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, des professionnels devenaient indispensables. Alors les Castors de Clair Logis, en régie directe, ont préféré embaucher des ouvriers du bâtiment et acheter les matériaux directement, grâce notamment aux prêts consentis à titre collectifs. « Nous avions un camion gazogène d’occasion, deux vieilles bétonneuses, une sauterelle pour monter les matériaux… Nous avons tout monté sans grue ». Paul Martel reconnaît que « les risques étaient énormes, mais par chance il n’y a eu aucun accident, juste quelques égratignures ».
Souvenirs et amitié
Cinquante ans après, chacun ici ne garde que de bons souvenirs de cette formidable entreprise qui aura duré plus de deux ans. « Nous étions tous copains, on travaillait ensemble, c’est quand même considérable ! » Les mauvais souvenirs ? « Bien sûr, nous n’étions pas souvent à la maison, en deux ans et demi nous n’avons pas beaucoup vu notre famille ». Andrée, comme quelques autres femmes, décide de camper sur place les beaux jours et profite ainsi malgré tout de la présence de Jean. « Il y avait cet esprit de communauté que tout le monde partageait, avec cette solidarité liée à la nécessité. Le soir, nous ramassions de vieilles brindilles et on chantait autour du feu, certains habitants du coin nous rejoignaient. Des étudiants sont même venus nous aider, sans rien attendre en retour ».
En 1953, chacun commence à emménager de façon progressive. le sept bâtiments, par soucis d’équité, avaient tous été construits en même temps. « En juillet, les murs étaient à peine montés, mais les sous-sols étaient finis et j’ai emménagé avec ma femme et mes trois enfants. Il n’y avait ni eau, ni électricité, ni écoulement. Beaucoup de familles vivaient à l’hôtel et ont emménagé avec une simple valise, sans meuble. Pour dormir, ils ont acheté de la paille. Mais il existait une grande solidarité entre nous, et nous nous repassions les meubles, les vêtements des enfants ».
Ni des héros, ni des surhommes
Le 8 mai 1954, le Clair Logis est inauguré en grande pompe en présence du maire, Daniel Renoult. Le soir, un immense feu de camp est dressé où l’on brûlera symboliquement une brouette. Symboliquement, car les travaux ne sont pas terminés. Les extérieurs n’étaient pas finis, les chemins non plus. Il faudra encore mettre la main à la pâte pendant de longues années.
Rembourser les emprunts
Il faudra aussi rembourser les prêts. « Pendant trente ans, précisait Paul Martel, nous avons été locataires attributaires avec des loyers tout à fait accessibles. Nous sommes ensuite devenus propriétaires ».
Quant au terrain, ils ont décidé (en 2004) de le racheter à la municipalité, car le bail valable 99 ans devait s’arrêter en 2048.
Que reste-t-il de l’Esprit Castor ?

En 2004, ils sont une dizaine de Castors à vivre toujours au Clair Logis. Des enfants ont pris la relève. D’autres, séduits par « l’Esprit Castor », s’y sont installés avec plaisir. « Avant j’habitait dans de grandes tours où personne ne se disait bonjour, où les escaliers pairs ne connaissaient pas les impairs, relate Jacqueline Périou, il y a 20 ans j’ai été séduite par cet endroit où les propriétaires avaient toujours su gérer eux-mêmes la résidence. Les gens étaient extrêmement solidaires ».
Encore aujourd’hui, un immense pique-nique est régulièrement organisé dans la Cité. Et les anciens Castors viennent parfois de loin pour ne pas manquer ce rendez-vous.
« Si c’était à refaire ? Nous le referions certainement. Les jeunes, s’ils se trouvaient dans notre situation de l’époque, je pense que eux aussi, le feraient ». (Andrée Dapsence).
« Nous n’étions pas des héros ni des surhommes, mais il n’y avait pas d’autre choix » (Paul Martel).
Nadège Dubessay
« Magazine de la Seine-Saint-Denis »
N° 78 – Mars 2004
Le film d’une petite-fille de bâtisseur, Lucile Marault, dédicacé à son grand-père
En 2008-2009, Lucile Marault, petite-fille de Castor de Clair Logis à Montreuil réalise un film d’entretien avec des Castors Bâtisseurs et des épouses Castors, qu’elle dédicace à son grand-père. (cliquer ici pour voir le film)
Contacts
Pour contacter les animateurs du portail internet : citescastorsdefrance@free.fr
Pour consulter le site Archives du Mouvement Castor « Fonds Roger Blanc » : http://www.cites-castors.com/