retour à l’accueil Castors Mérignac

Cathy Gonzales – Bernard Lacroux – Dominique Pouchard
Enfants de Bâtisseurs
Quelques années après la deuxième guerre mondiale, quand on quittait la place de l’église par ce qui est aujourd’hui l’avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, on avait dépassé l’actuel Commissariat de police et longé la première Poste de notre commune
qui devint par la suite ce qui fût peut-être le premier supermarché mérignacais, « Le Panier complet ».
Arrivé à l’angle droit du groupe scolaire Jules Ferry, attenant à l’ancienne Mairie, on apercevait sur la droite, à l’orée d’un bois, le portail d’entrée de la Jumenterie de la Fauvette. A partir de là et jusqu’au futur stade Robert Brettes, alternaient forêts et prairies. C’est à cet endroit qu’en 1955 s’achevait la construction de la Cité des Castors de Mérignac, sur un lot de 5 hectares du Haras des Fauvettes(1). Il est probable que dans ce Mérignac à 94% rural, un chantier de cette importance ne pouvait passer inaperçu et peut-être a-t-il été prémonitoire de l ‘explosion démographique des années soixante.
(1) Deux autres lots de la jumenterie seront cédés, l’un à la ville pour la réalisation du stade Robert Brettes, l’autre au Toit girondin qui construira vers 1956 la première résidence des Fauvettes.
Table des matières
L’aboutissement d’une utopie
L’histoire de ce quartier est une histoire remarquable. Le décor est celui des années 50, l’après-guerre, la crise du logement qui réserve aux classes populaires un habitat insalubre et sans commodités, un habitat où souvent on s’entasse à plusieurs générations dans des logements déjà trop petits. Et dans ce contexte de crise, face à l’importance des besoins, l’Etat donne naturellement la priorité aux villes les plus touchées par la guerre et la préférence à l’habitat collectif pour loger plus. Les acteurs de cette histoire, ce sont de jeunes couples, ouvriers souvent ou employés. Désireux d’une qualité de vie meilleure et probablement aussi d’une certaine indépendance familiale, ensemble, ils vont coopérer à la construction de quatre- vingts maisons pavillonnaires confortables, équipées de sanitaires modernes et du chauffage central.
Il faut rappeler qu’à cette époque ces catégories sociales n’avaient pas les moyens d’accéder à la propriété d’un logement, et notamment pas les moyens d’accéder à un prêt financier car les banques demandaient une avance de 25% du capital, terrain et construction compris. Mais pour mieux comprendre l’histoire des Castors mérignacais il faut remonter à 1948, année où commence à Pessac la construction de la première Cité des Castors française. Entraînés par Etienne Damoran, jeune prêtre ouvrier soudeur bordelais, cent cinquante jeunes gens se lancent dans ce qui est décrit comme une folle aventure, « construire de leurs propres mains une Cité modèle, voire une Société idéale… ». C’est dans le cadre de cette première expérience, qu’après avoir assiégé toute une journée le bureau d’Eugène Claudius Petit, alors Ministre de la Reconstruction, Etienne Damoran et des Castors pessacais obtiennent l’aval de l’Etat qui reconnaît dans la circulaire du 12 août 1951, l’« Apport Travail » comme mode de financement acceptable et donnant accès à des aides publiques complémentaires. Le travail devenait donc une force d’appoint financier, celui des Castors sur les différents chantiers ayant représenté, suivant les cas, entre 15 et 20% du coût des opérations. Il permettait à ceux, qui n’avaient pas les moyens d’avoir un apport personnel, soit la quasi-totalité des candidats Castors, de prétendre à la propriété de leur logement. Il servait aussi de garantie pour les emprunts contractés auprès des établissements financiers et permettait de bénéficier des aides de l’Etat et des organismes sociaux comme les Caisses d’Allocations Familiales qui joueront un rôle déterminant dans la réussite des Castors. Le Comité Ouvrier du Logement, fondé en 1948 sur la base des statuts-types d’une société coopérative d’H.L.M., est la structure qui a permis la réalisation de cette première Cité et a ensuite participé à la réalisation des expériences suivantes. L’organisation des Castors girondins fut la référence et le modèle pour les centaines de Cités Castors qui prirent leur essor jusqu’au début des années 70.
Un modèle de coopération et de solidarité
La Cité des Castors de Pessac n’a pas pu loger tous ceux qui auraient souhaité participer à cette première aventure et des proches, amis ou parents, ainsi que d’autres candidats d’origines diverses, milieux syndicaux, mouvements d’actions catholiques comme les J.O.C, ouvriers de l’industrie aéronautique, etc., vont participer avec le Comité Ouvrier du Logement de Bordeaux et le soutien des Castors de Pessac à la construction de la Cité des Castors de Mérignac qui débute en 1953. Ce vaste chantier de quatre-vingts maisons était en partie réalisé par des professionnels salariés et les Castors participaient aux travaux selon leurs éventuelles compétences et spécialités professionnelles. Il y avait de quoi faire aussi pour ceux qui n’avaient aucune expérience du bâtiment mais apprenaient rapidement à manier la pelle et la pioche à des postes de manœuvre. Selon les dispositions prises par le règlement de la Cité, chaque Castor devait fournir un temps de travail de 24 à 32 heures par mois et deux semaines prises sur leurs congés payés (ils étaient de trois semaines à l’époque).
Il faut garder en tête qu’ils coopéraient tous à un objectif commun et qu’ils construisaient une maison pour chacun et non chacun leur propre maison. Ceci nous aide à comprendre pourquoi le principe de solidarité qui les unissait était aussi un principe de réussite d’un projet communautaire. Ainsi le travail était distribué en tenant compte de la force physique de chacun et quand, pour des raisons diverses, certains Castors étaient absents, malades ou en déplacements, les autres camarades faisaient leurs heures de temps de travail et la construction des pavillons pouvait continuer.
Les plus anciens, hommes et femmes que nous appelons aujourd’hui les bâtisseurs évoquent encore aujourd’hui les travaux de déboisement et de préparation du terrain, le vieux camion américain de marque GMC qui permettait de transporter les matériaux, les parpaings fabriqués derrière l’emplacement actuel de la crèche Tom pouce (zone du stade Robert Brettes proche du chantier) à partir de ciment de portland et de pouzzolane, les portes et fenêtres fabriquées par l’atelier de menuiserie des Castors de Pessac.
En octobre 1955, les maisons sont prêtes à accueillir les familles. La Cité est constituée de 80 pavillons dont 73 en rez-de-chaussée et sept comprenant un étage, certains étant construits en mitoyenneté. Avec la fin de la construction des maisons, il fallait encore
tracer et nommer les rues et les places de la Cité. « Ils décidèrent d’honorer des femmes et des hommes qui les avaient inspirés et qui incarnaient leurs propres idéaux ». Dès le départ, en location-attribution, chaque famille était candidate à la propriété de son logement et se voyait attribuer l’une des maisons parmi trois choix exprimés. Les témoignages n’évoquent pas de difficultés particulières à l’occasion de l’attribution des maisons. 1979 est l’année des attributions en pleine propriété des pavillons.
Groupe de Bâtisseurs réunis pour travailler un W.E. sur le chantier des Castors de Mérignac
La fin du chantier n’a pas altéré les liens qui unissaient les habitants de la Cité. La solidarité était toujours plus active chez les Castors. Une machine à laver circulait de maison en maison pour faciliter et rendre moins pénible le lavage du linge dans des familles parfois nombreuses. La lessive se faisait ordinairement à la main dans un grand bac en béton, (avec robinets eau chaude et froide) qui était situé dans ce que l’on appelait le garage. Le linge était étendu dehors, dans le jardin, sur des fils tendus entre deux piquets.
Une cireuse circulait aussi pour l’entretien des parquets en bois des chambres et le revêtement lino du sol des salles de séjour. Il y avait enfin une machine à tricoter communautaire pour la confection de pulls, de vestes, de gants et d’écharpes pour l’hiver, solution moins coûteuse que l’achat dans les commerces. Les utilisateurs de ces différents services payaient à l’époque 1 centime et la cagnotte ainsi constituée permettait d’aider ceux qui pouvaient connaître des difficultés. De même des collectes de charbon étaient parfois lancées pour apporter de l’aide à une personne ayant perdu son travail, par exemple à l’occasion du terrible hiver 1956.
Des scènes journalières de la vie des Castors dans les années 50 et 60
Les mères de famille du quartier cuisinaient beaucoup, surtout le week-end. Avec les voisines, le samedi, elles tuaient des poulets, des lapins et partageaient le fruit de leur travail. Les animaux vivaient comme dans une ferme. Une des voisines possédait un poulailler et des clapiers pour lapins dans son jardin. Leur plaisir, après ce travail, était de récupérer le sang des poulets, appelé la « sanquette ou sanguette », qu’elles faisaient revenir dans une poêle et qui se transformait en galette, un peu de sel tout le monde se régalait !
Tous les voisins avaient un potager où ils récoltaient des fruits et des légumes pour leurs consommations personnelles. C’était un travail journalier de chacun, le matin, avant que le soleil ne tape fort, le soir, pour arroser les sillons de légumes patiemment plantés. Mais le résultat de ce travail était à la mesure du labeur accompli. Des belles tomates rouges, des haricots verts, de superbes salades vertes croquantes et bien d’autres délices qui faisaient la joie de tous.
De même, Bernard raconte que le laitier passait chaque jour dans le quartier et que sa mère laissait devant la porte de la maison la commande de produits laitiers Les bouteilles de lait, le beurre et les œufs étaient déposés dans un coin du jardin et à la fin du mois l’argent des commandes était récupéré par le laitier. Il en était de même pour le boulanger et d’autres commerçants.
Un épicier ambulant passait lui, chaque semaine dans les rues du quartier, une fourgonnette ouverte sur le côté avec un comptoir. Le klaxon avertisseur retentissait, les personnes du quartier sortaient de leurs maisons, s’approchaient, achetaient ou commandaient pour la semaine suivante, des courses diverses, alimentation, quincaillerie. Le contact avec le marchand était chaleureux. Les voisins, qui se retrouvaient devant le comptoir, échangeaient sur les dernières nouvelles du jour !
Une voix au loin criait « rémouleur, ciseaux, couteaux !» Un chariot ambulant s’approchait tiré par un homme grand et costaud au visage buriné par le temps. Assis sur un petit siège intégré au chariot, il aiguisait, affûtait, en tournant avec ses pieds une meule à eau, tous les instruments coupants que les gens lui apportaient à son passage devant leurs maisons. Le spectacle était étonnant !
Et puis il y avait le charbonnier qui livrait le quartier avec son petit camion rempli de sacs de charbon. Il avait le visage et les mains noirs avec son petit capuchon qui lui tombait sur le dos pour se protéger. Il transportait les sacs au fond du jardin dans un local de stockage. Le charbon servait à alimenter la chaudière pour le chauffage de la maison en hiver.
La première télévision est arrivée chez un voisin, personne ne l’avait encore ! C’était l’attraction pour les enfants du quartier. Ils étaient invités gentiment à passer un super moment pour regarder émerveillés les feuilletons et les dessins animés.
Il y avait aussi les fêtes de quartiers, « Les feux de la Saint-Jean ». A la tombée de la nuit, au milieu du carrefour des rues du Bédat, du Truc et Fernand Grosse, tout le monde apportait du bois pour allumer un grand feu. Toutes les familles du quartier se réunissaient autour de cet immense brasier plein de chaleur et commençait le rituel du saut des flammes. Les hommes et adolescents les plus courageux sautaient le feu quand il était au plus haut, et la soirée continuait dans la convivialité jusqu’à son extinction. Les cendres étaient ramassées et le carrefour nettoyé en attendant la prochaine fête. Aujourd’hui le feu est allumé tous les jours mais il ne sert plus qu’à régler la circulation.
Le père de Bernard, qui était fou de cinéma, possédait un projecteur et récupérait des bobines de films, assez récents, pour improviser des séances de cinéma. Ces petites réunions conviviales se déroulaient dans le garage pour le bonheur des voisins qui arrivaient avec leurs chaises. Chacun s’installait et les actualités commençaient ! A l’entracte sa mère nous servait une boisson, mon père changeait la bobine du film et c’était reparti pour la séance, le lion de la Métro-Goldwyn-Mayer rugissait … c’était ça l’esprit Castors !