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Préambule
En 2004, quarante ans après les faits, une plaquette sur la création de la cité des Castors de St Jean a été éditée. Elle se voulait « un témoignage, un arrachement à l’oubli d’une œuvre qui fut profondément humaine, sociale, solidaire, collective ».
Le 6 novembre de cette même année, les Castors et la Mairie ont inauguré à l’entrée du boulevard des Pensées de St Jean, une plaque commémorative à la mémoire d’André et de Maguy SAURY, plaque témoignant de la reconnaissance des Castors à leur égard.


Bien évidemment ils ne furent pas seuls dans cette aventure humaine qui entre 1959 et 1969 a vu la construction de 222 maisons en plein cœur de Saint-Jean, par et pour les coopérateurs.
Mais sans André qui fut le penseur et le défenseur infatigable du projet et Maguy qui en fut une travailleuse acharnée et désintéressée, ce quartier de Saint-Jean ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui.
La construction de ce lotissement occupa, 10 ans durant, les pensées et les efforts de tous. Les travaux s’étalèrent de 1959 à 1966.
Le Conseil d’Administration continua jusqu’à la dissolution de la coopérative en juillet 1969.
Cette dissolution consacrait la pleine réussite de la raison d’être de la Société. Elle apurait les comptes et donnait aux 35 derniers coopérateurs la part sociale qui leur revenait : une maison individuelle !
La présentation qui suit est un condensé de l'"Histoire". Retrouvez la totalité du récit dans la plaquette de 2004 !
Cliquer ici pour télécharger la plaquette de 2004
Voici comment ça s’est passé !
Table des matières
Un des plus grands chantiers Castors de France
Le contexte économique et social
La libération du territoire national et la fin des combats en Europe, ne sont pas pour autant la fin de la guerre : elle continue avec le Japon. Et la France va expédier des troupes qui se battront en Indochine, puis en Algérie.
Le pays est certes libéré mais dans quel état !
Il faut reconstruire les villes bombardées, rebâtir les ponts détruits, remettre en état les réseaux de voies ferrées, les routes. De plus, les Allemands ont pillé l’outil industriel et les matières premières. La France repart donc à zéro. De plus, dès mars 1962, la France doit assurer le logement à un million de rapatriés d’Algérie, ce qui aggrave considérablement la crise du logement. En outre, l’application du programme du Conseil National de la Résistance introduit de profondes modifications dans la vie sociale et industrielle du pays :
- Amélioration et extension d’un système de protection sociale : la Sécurité Sociale ;
- Création de nouveaux droits syndicaux, délégués du personnel, comité d’entreprise.
Le pays est en effervescence. L’effort de reconstruction, la remise en route de notre industrie imposent aux travailleurs des semaines de 50 à 60 heures. Tout ceci, non sans à-coups. Il y aura, au cours de ces années, d’importants mouvements de grève dans les bassins houillers, chez Renault, dans les autres industries aussi. Les jeunes couples, qui se forment durant cette période, rencontrent d’énormes difficultés pour trouver un logement. Les plus chanceux vivront dans des logements exigus avec, dès l’arrivée d’un enfant, l’absence de toute intimité. Les autres seront contraints de cohabiter avec les belles-familles !
Mais comment faire ? La reconstruction des logements est en retard. Il y a donc un très grand besoin et un très fort désir de se loger chez tous ces jeunes couples. Et ce besoin fait rechercher toutes les formes possibles de construction !
A l’origine du projet
Dans les années 1950, André SAURY est administrateur de la Caisse d’Allocations Familiales de la Haute-Garonne. Il assure une permanence dans un bureau exigu, situé au troisième étage du 7 de la rue des Arts à Toulouse.
Militant ouvrier, André est souvent consulté pour toutes sortes de questions touchant aux familles et donc au logement.
C’est ainsi, qu’il est amené à aider une association Castor en difficulté, route de Seysses. Il mène avec eux et à bonne fin, la réalisation de ce chantier de 80 maisons.
Va alors germer, dans son esprit, et il serait bon de dire dans son cœur, une idée folle : réaliser avec les personnes qui recherchent un logement décent des maisons individuelles en accession à la propriété.
Il va mettre sa récente expérience et sa volonté au service de cette idée si peu raisonnable : bâtir des logements sociaux.
En un mot devenir un promoteur au service des familles, le tout sans le moindre sou en caisse et sans recherche de bénéfices !
A cette époque le Ministre de la reconstruction, à défaut d’apporter des aides, a définit un cadre étroit permettant aux particuliers d’obtenir des prêts à faibles taux et des primes à la construction.
Le principe de l’apport travail : Le travail collectif effectué pendant les heures libres (week-end, vacances, …) vient palier l’incapacité des associés à financer leur apport personnel pour garantir l’obtention d’un prêt. En savoir plus sur l’apport travail
Mais les prêts du Crédit Foncier ou du Comptoir des Entrepreneurs ne suffisent pas, aussi André va étudier tous les autres prêts à taux faible dont peuvent bénéficier ceux qui veulent construire :
- Prêts de la Caisse d’Allocations Familiales;
- Prêts du Département ;
- Prêts octroyés par les Mutuelles dans le cadre des 1 % versés par l’employeur pour la construction.
Là encore, les sommes obtenues ne permettent pas de couvrir le prix de revient des futures maisons, d’autant que le prix du terrain et de la viabilité vont encore alourdir la facture.
Il y a de quoi jeter l’éponge ! C’est mal connaître André SAURY et sa volonté. Son charisme est tel qu’il trouve non seulement les premiers sociétaires mais qu’il convainc les autres interlocuteurs dont la C.A.F. de la Haute-Garonne qui lui avance la somme de 10 millions de francs (valeur 1959).
La création de la société :
Une assemblée Générale constitutive a lieu et la coopérative à capital variable la Société des Logements Populaires de Saint-Jean est définitivement créée le 2 juin 1960.
Le petit bureau d’André de la rue des Arts en devient le siège social. Là, les membres du Conseil d’Administration, par roulement, tiennent une permanence pour recevoir, informer et inscrire les coopérateurs.Quelle joie pour le comptable, de trouver sur le bureau le lendemain matin plusieurs nouveaux dossiers. André SAURY assiste souvent à ces permanences tardives.
Et c’est le départ d’une aventure folle :
A Saint-Jean, il y a au bord de la route d’Albi quelques maisons neuves et des terrains disponibles. André SAURY convainc les époux TRAVERSE et BASTIÉ de vendre un premier lot de 17 296 m2. Avec l’option d’achat sur un 2ème lot, la société est « pratiquement » propriétaire de plus de 10 hectares de terrain au centre du village.
Le terrain ne pouvant être payé comptant, chaque coopérateur, en s’inscrivant, doit payer sa parcelle.
Les économies des jeunes ménages ne permettent pas toujours d’en solder le prix, il faut donc jouer avec l’obtention des prêts et surtout remercier les vendeurs. Ils acceptent, pour que la jeune société ait un fonds de roulement, de retarder les dates de paiement des parcelles, et parfois que les sommes servent à l’achat des matériaux. Leur confiance est telle qu’ils adhérent à la Société.
La municipalité de l’époque, consciente de l’aspect social du lotissement, n’exige pas le paiement de la taxe d’équipement qu’elle était en droit d’obtenir. La Société lui cédera 3047 m2 pour l’élargissement des chemins vicinaux ainsi que pour l’ extension du cimetière.
Une première étude de plan de masse voit rapidement le jour. Dans les 240 logements envisagés, l’administration veut imposer un petit collectif de 24 logements sur 3 étages, sur l’actuelle place des Lilas. Elle renonce devant la détermination d’André et des coopérateurs.
Enfin, la Société Coopérative achète des terrains de l’autre côté de la route de Lapeyrouse pour y déplacer la station d’épuration prévue initialement au 22 / 24 de la rue des Jonquilles.
Et voilà dessiné le contour définitif de la cité !
Des hommes et des femmes pour un projet ambitieux :
Fabriquer 222 maisons individuelles pour un coût de 1 milliard 100 millions de francs en 1969.
Aménager et lotir plus de 10 ha en plein cœur de Saint-Jean, qui compte alors environ 650 habitants et qui va s’enrichir ainsi de près d’un millier d’habitants nouveaux. Le défi n’était pas mince, mais ils vont le relever avec :
- Un créateur et animateur, Directeur, André SAURY ;
- Les bienveillants vendeurs du terrain ;
- Un comptable et un commissaire aux comptes qui n’ont jamais demandé l’intégralité de leurs honoraires, étant donné le caractère social de la Société ;
- Un Conseil d’Administration élu par l’Assemblée Générale, et des responsables à différents postes de travail, choisis selon leurs compétences soit en son sein, soit parmi les coopérateurs ;
- Un chef de chantier, lui-même coopérateur ;
- Quelques 7 ou 8 hommes qui assureront la pose des menuiseries, la confection du béton et du mortier pour les équipes de tâcherons qui construisent et tous les travaux nécessaires au fonctionnement du chantier durant la semaine ;
- Et les Castors … sans connaissances particulières, qui apprirent sur le «tas», toutes les techniques de génie civil nécessaires à la réalisation de leur cité ;
- Et les Castorettes … les épouses furent partie prenante elles aussi. Elles n’eurent pas de vacances, furent souvent seules avec leurs enfants. Par les tâches familiales assumées et le soutien apporté à leurs époux, elles ont fait également, tâche de Castor.
Sans oublier les divers Présidents, du premier au dernier, qui endossaient (et les risques pouvaient être graves) la responsabilité devant la loi, d’une Société importante et toujours à la limite de l’équilibre financier.
Et le dévouement de Maguy SAURY, l’épouse d’André, qui tout au long de ces dix ans de travail, sans la moindre rémunération et sans aucun remboursement de frais, aida et son mari, et les membres du Conseil d’Administration.
Le chantier : philosophie et organisation
Les principes
Le but du chantier est évident pour tous : donner une maison individuelle à chacun des coopérateurs, au moindre coût bien évidemment, mais sans négliger la qualité et le confort que les futurs occupants sont en droit d’attendre.
Mais des contraintes s’imposent :
- Par les règlements administratifs pour l’obtention de prêts à taux bonifiés. Finalement, André SAURY les abandonne pour bénéficier d’un taux d’intérêt plus bas du Crédit Foncier ;
- Par la modicité des sommes dont les acquéreurs disposent ;
- Par le peu de choix possible que l’industrie met sur le marché, notamment les matériaux de revêtement de sol ;
- Par l’omniprésente et toute-puissante Administration qui impose le choix des plans adoptés par ses services, qui contrôle de façon draconienne les surfaces habitables et la réalisation du gros œuvre.
Même les améliorations aux plans initiaux approuvées par les architectes, qui ont compris le désir des Castors de bâtir bien et solidement, sont systématiquement refusées. Comme si, pour l’Administration, bâtir pour des hommes et des femmes de conditions modestes devait nécessairement dégager une impression de laideur et de misérabilisme !
La logique Castors est la suivante :
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Payer le terrain ;
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Payer les réseaux divers, la viabilité et les espaces verts ;
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Apporter, si cela est possible, le complément financier nécessaire pour que le prêt consenti par le Crédit Foncier de France apure les frais de la construction ;
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Pour les familles qui ne peuvent financer entièrement l’achat, permettre par des heures de travail qui seront comptabilisées sur compte individuel, d’aller jusqu’au bout de leur projet ;
Le principe Castor retenu est simple :
- Le coopérateur paie et travaille, ou bien il paie plus pour ne pas travailler.
- L’argent mensuellement collecté, auquel s’ajoutent les sommes débloquées par les organismes de crédit pour chaque maison hors d’eaux ou livrée , sert pour acheter les matériaux et payer les travaux effectués par les entreprises.
- Les sociétaires remboursent à la coopérative les sommes débloquées dès qu’ils habitent la maison en attendant que les prêts leurs soient acquis de façon personnelle et définitive.
Mais si le principe est simple, la réalité de la gestion comptable et de l’équilibre financier du chantier nécessitent une jonglerie permanente pour assurer les échéances. Il faut toute l’intelligence, la ténacité et le courage d’André SAURY pour surnager dans ce chaos de factures et d’échéances.
A cette tâche écrasante, lui et Maguy passent leurs journées et bien trop souvent partie de leurs nuits. L’aide des Présidents, des membres du Conseil d’Administration est nécessaire également.
Et il y aura malgré tout quelques découverts en banque ( 12% d’agios en ce temps là ) et une fois ou deux il faudra l’intervention d’un directeur de haut niveau de la banque qui connaît la probité d’André SAURY pour ne pas être acculé à la faillite.
Tout au long du chantier, la lutte sera menée quotidiennement sur deux points :
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Assurer les échéances pour éviter les découverts bancaires et la faillite, prévoir et faire rentrer de l’argent en mettant les maisons hors d’eaux ou en les livrant ;
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Opposer à l’Administration un refus à la fois opiniâtre et souple car les responsables de l’époque ne semblent avoir vis à vis de la Société qu’un seul souci : l’empêcher d’accomplir son but social.
Lutte d’usure sans merci où les SAURY et les coopérateurs ne baissent jamais les bras. Ceux du chantier se plient sans murmurer à la couverture de maisons, qui sont découvertes dès que l’inspecteur du Crédit Foncier a tourné le dos. Les SAURY eux, ont pour obsessions de gérer au mieux et à moindre coût, et d’encourager les Castors qui parfois doutent.
Zoom sur …
Zoom sur … les heures de travail.
Les heures de travail effectuées sur le chantier sont comptabilisées au crédit du coopérateur. Au départ une valeur unique, celle du salaire horaire du manœuvre est retenue. Elle correspond aux premiers travaux effectués : terrassement, manutention, travaux divers sans qualification.
Le chantier avançant, des connaissances plus techniques sont nécessaires et comme il y a autant, si ce n’est plus de coopérateurs qui ne travaillaient pas et qui payaient, le désir de justice fait naître un autre taux horaire plus élevé.
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Les heures effectuées dans les divers postes de travaux sont donc, suivant le cas, facturées de façon plus ou moins chères ;
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Il faut souligner que, si chaque compte coopérateur est crédité du nombre d’heures réellement effectuées sur différents postes, la valeur de ces heures sera la même quelles que soient les responsabilité exercées.
Estimée à 1000 heures au départ, la quantité d’heures à fournir sera souvent multipliée par 2 voire 2,5 ce qui se révélera dramatique pour les derniers inscrits qui devront fournir une masse considérable de travail, en raison de leur petit nombre.
La solidarité des Castors n’est pas un vain mot. Il y a, au cours des travaux, des Castors malades qui ne peuvent effectuer leurs heures. Des Castors travailleront et diront simplement le soir au responsable du chantier, « porte mes heures d’aujourd’hui sur la fiche Untel ».
Zoom sur … les critères de livraison des maisons :
- Elles seront raccordées aux réseaux : vanne, arrivée d’eau et au pluvial même si les revêtements des rues ne sont pas terminés au moment ;
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Les murs extérieurs devront être peints dans des teintes claires, dans les meilleurs délais ;
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Les maisons seront livrées sans clôture. Les coopérateurs s’engagent à planter deux arbres dans la zone non construite entre la maison et la rue ;
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Les menuiseries seront livrées avec une couche d’impression, deux couches de laque sur les menuiseries extérieures. La porte d’entrée sera vernie ;
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Il n’y aura ni tapisserie ni peinture sur murs. Les coopérateurs qui se sont réservés les travaux d’électricité devront les assurer sans perturber l’avancement du chantier ;
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Aucun système de chauffage n’étant prévu, chaque coopérateur gérera ce poste après livraison de la maison ;
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Les coopérateurs s’engagent à ne pas modifier la structure et l’aspect extérieur de leur bâtisse avant d’en être pleinement propriétaire ;
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Enfin ils s’engagent, en prenant possession de leur maison, à rembourser mensuellement à la coopérative les sommes dues en attendant que les prêts du Crédit Foncier et du Comptoir des Entrepreneurs leurs soient acquis de façon personnelle et définitive.
Cette dernière disposition va amener un travail de secrétariat et de comptabilité supplémentaire. C’est aussi ici que Maguy SAURY va se révéler indispensable.
Zoom sur … la personnalisation des maisons :
Dernière disposition structurante du chantier : la personnalisation des maisons.
Le Conseil d’Administration et André SAURY, sont soucieux d’offrir à chaque coopérateur, le choix de nombreuses options pour la finition parmi lesquels : revêtements des sols (sauf WC) , couleur des volets, positionnement des interrupteurs et des points d’éclairage dans les chambres, receveur de douche ou baignoire-sabot, raccordement d’évacuation d’eaux usées pour une machine à laver dans le garage, parements des piliers briques ou pierres de taille, linteaux supplémentaires pour de futures transformations, crépi fin ou plâtre sur les murs dans les pièces d’usage, etc.
En contrepartie ces possibilités de choix vont amener une gestion très lourde des fiches individuelles de chaque maison au moment des commandes et pour la gestion du stock !
Les grandes étapes du chantier
Démarrage du chantier
Pour en arriver là il a en fallu de l’énergie depuis l’A.G. de création ! Élection du premier Conseil d’Administration et du premier Président, dépôt à la préfecture des statuts de la Société, création d’un plan de masse avec voirie, autorisations administratives diverses, étude de la résistance du sol et demandes de devis de terrassements pour la voirie, sans oublier l’accompagnement des personnes qui veulent entrer dans le projet, etc…
Les principes précédents établis, le Conseil d’Administration, en accord avec André SAURY, définit l’organisation du chantier qui démarre donc avec quelques dizaines de coopérateurs en juillet 1959. Ils sont pour la plupart ouvriers dans les usines aéronautiques de Toulouse. Ils ont gravi le cœur battant les trois étages du 7 de la rue des Arts, écouté André SAURY leur expliquer ce qu’ il voulait faire, puis ils ont souscrit leur première action de la Société (100 francs) et se sont engagés à régler le prix du terrain et de la viabilité.
Création des locaux communs à partir de 1959
Les travaux commencent en juillet 1959, par le creusement d’une tranchée pour amener l’eau au hangar qui servira d’entrepôt à côté de l’Église. Là une équipe de fabrication des bordures trottoir entre en action.
Ensuite le bureau l’atelier et le réfectoire sont installés dans les bâtiments de la ferme « Spertino » avec un accès par la route d’Albi. Tout au long du chantier, le petit bureau sera le point de départ matinal des équipes de Castors avec leurs responsables, vers le chantier.
Dans le hangar, les bois de charpente et de coffrage seront débités.
A l’atelier, seront effectués les travaux mettant en œuvre l’acier : moules de regard des puits de visite du tout-à-l’égout, accessoires métalliques des coffrages banchés…etc
C’est aussi dans le petit bureau que le samedi soir les comptes rendus des travaux sont effectués et les consignes de travail données pour le lendemain. Et le dimanche soir, en fermant le chantier, le responsable du jour fait l’état des travaux faits et non faits à l’intention du chef de chantier de semaine.
Le chantier « tournera » ainsi pendant 7 ans, 7 jours sur 7, périodes de congés incluses avec : un chef de chantier et une équipe dans la semaine, des responsables des différents postes de travaux et 60 à 90 Castors (dans les périodes de pointe).
Très vite, des hommes sont responsables du travail d’une petite équipe qui se spécialise. Les équipes sont souvent, solidement et durablement constituées par des camarades de travail en entreprise et perdureront parfois, durant des années.
La structuration du chantier 1960 et 1961
Les tâches ne se traduisent guère en choses visibles sur le chantier, si ce n’est les quelques milliers de mètres de bordures empilées derrière le hangar. Mais surtout la première équipe dirigeante se rôde et participe, aux côtés d’André SAURY à la définition des axes prioritaires du chantier.
La définition des tâches :
La taille du projet ne permet pas de réaliser tous les travaux en « Castor » sauf à s’installer dans une durée excessivement longue. Il est donc décidé de la répartition des tâches suivantes :
- Les Castors feront les travaux jusqu’au coulage de la première dalle, ainsi que toutes les tâches qui allègent les travaux de manutention des tâcherons. Ceux qui viendront en semaine seront à la disposition du chef de chantier qui les emploiera suivant les besoins.
Les Castors effectueront les travaux d’ implantation, de terrassement des fondations, de préparation du béton, le coulage des fondations, la confection des bordures de trottoir, les différents travaux de formage et de confection du ferraillage des linteaux. Ils assureront en outre la préfabrication des poutres de hourdis du premier plancher. Ils feront aussi les coffrages nécessaires au tout-à-l’égout, les coffrages pour les murs banchés, le coffrage et le coulage de ces murs. Seront également à leur charge la mise en place avant coulage des tubes d’évacuation d’eaux usées, de pluvial et de la pose des caissons de visite de ces évacuations. Ils monteront aussi, coffreront, couleront chaque fois que cela sera possible la première dalle.
-
Les tâcherons eux construiront les maisons elles-mêmes.
Le partage du chantier en 3 tranches de travaux :
Il est décidé de partager la construction des 222 maisons du chantier en trois tranches à peu près égales. Ceci afin de serrer au plus juste les prix de revient réels des maisons de la façon la plus sincère et harmonieuse possible. Le prix de revient des matériaux va fluctuer sans cesse entre 1961 et 1966. Le record revient au cuivre dont le prix monte et baisse d’une semaine à l’autre en fonction de l’approvisionnement péruvien.
Première tranche « à la force des bras »
Le permis de construire est accordé le 01 juin 1961, et la construction effective des maisons commence en janvier 1962. La ère tranche concerne 82 maisons dans le triangle formé entre l’avenue du Bois, la rue des Jonquilles et le boulevard des Pensées et comprenant les rues du Muguet et des Gardénias.
Les bordures de trottoir entassées derrière l’église sont péniblement réparties à l’aide d’une camionnette 203 équipée au gaz et d’une grande remorque.
Parallèlement un atelier de ferraillage est initié avec quelques Castors du métier du bâtiment. Il s’agit de confectionner les armatures métalliques qui vont servir à la confection des poutres de hourdis pour le premier plancher, pour les chaînages et les linteaux.
L’entreprise de terrassement décaisse les rues. Les premières maisons sont implantées à partir des futurs trottoirs. Les Castors commencent alors le terrassement manuel.
Puis les fondations sont creusées à la main et coulées à l’aide du poste de fabrication de béton installé en haut du boulevard des Pensées. L’équipe de 4 à 5 hommes produit à l’aide d’une bétonnière neuve, les 18 m³ environ, nécessaires pour une seule maison. Le charroi jusqu’aux fouilles est assuré au début par une noria de brouettes. Cette tâche se révèle particulièrement pénible les jours de pluie car il faut les pousser dans la boue, ces quelques 350 à 380 brouettes par maison!
Après 3 semaines de séchage, la résistance optimale du béton étant obtenue, l’équipe des coffreurs entre en action. L’atelier a étudié et réalisé le premier coffrage en contreplaqué de 20 mm modulable qui sert au coulage des murs banchés des modèles de maisons les plus courants.
Il reste alors à couler les murs de soubassement ainsi coffrés et laisser sécher avant de pouvoir poser le 1er plancher. Cette dernière tâche n’est pas la moins pénible car il faut entre autres acheminer les poutres stockées à l’atelier ( jusqu’à 6 hommes sont nécessaires pour certaines ), mais elle est décisive pour le Castor qui atteint là un de ses principaux objectifs : passer le relai aux équipes de tâcherons qui vont édifier la maison elle-même.
Les murs montent. Plusieurs maisons sortent du sol et atteignent la hauteur du deuxième plancher ; mise en place et étayage du hourdis du premier étage, ferraillage, coulage, le tout sans grue !
Ces quelques murs visibles déclenchent visites et adhésions. Un apport d’hommes intéressant pour les Castors, et aussi un apport d’argent qui permet d’acquérir du matériel d’occasion : grues, Dumpers de 500 litres pour le transport du béton.
L’équipe permanente du chantier qui a posé les bordures de trottoir, met en place le réseau vanne, le réseau d’alimentation en eau potable. Elle pose les menuiseries intérieures et extérieures. L’entreprise Nitris construit la station d’épuration, l’entreprise Barbe installe le réseau électrique.
Des plâtriers sont embauchés ainsi que des carreleurs. L’électricité et la plomberie sont confiée à des artisans.
Le chantier tourne à plein régime et le chef de chantier se débat avec les fiches de choix des coopérateurs et les équipes de tâcherons. Et ce ne sera pas toujours facile !
Après l’avenue du Bois, les maisons naissent de l’autre côté de la rue des Gardénias, gagnent le deuxième côté du boulevard puis descendent la rue du Muguet et la rue des Jonquilles.
Le certificat de conformité des 82 maisons de la première tranche est délivré le 22 juillet 1963.
Les premières maisons sont livrées après la réception de la station d’épuration par le Conseil d’Administration. La coopérative crée un service de ramassage des ordures en embauchant le frère d’un coopérateur / tâcheron qui possède un camion. L’entretien de la station d’épuration, est rapidement confié à des membres de la coopérative après une rapide formation.
Deuxième et troisième tranche « au courage »
Au début de la deuxième tranche, l’organisation est rodée mais les équipes doivent se renouveler car les premiers Castors aménagent à présent leurs logements. Ils peignent, tapissent, installent le chauffage, bétonnent les accès pour éviter de rentrer terre et cailloux, car les trottoirs et les rues ne sont pas encore goudronnés.
Le deuxième chantier de bétonnage est implanté sur l’emplacement du centre commercial de la rue des Roses. Il est équipé d’une pelle électrique.
Finies les courses de brouette pour aller chercher le soir les derniers agrégats à la hauteur de la rue de l’Église. Les terrassements des maisons en bande sont effectués à la pelle mécanique. Il faut coffrer et étayer solidement les deux côtés mitoyens des fouilles, puis coffrer à nouveau plus loin, sans oublier le joint de dilatation car chaque maison doit être rigoureusement indépendante. Et il faut toujours assurer les tâches de Castor en préparation et en complément des tâcherons, et terminer les réseaux vanne et pluvial, etc.
En un mot, assurer autant de travail mais avec beaucoup moins de main d’œuvre. Et ce n’est pas la « mécanisation » de certaines tâches qui annulera la dure épreuve musculaire des manutentions de tous ordres.
Certains pionniers reviendront travailler mais les Castors des deuxième et troisième tranches auront l’impression d’être quelque peu « abandonnés » par leurs camarades du début.
A la « foi » un peu folle des premiers coopérateurs succède « le courage » des derniers Castors tout aussi désireux de réussir cette aventure. C’est bien leur travail acharné qui permet fin 1965 d’entrevoir la fin du chantier.
Coup de théâtre en 1966
Le régime fiscal change et l’Administration impose une taxe pour livraison de maison à soi-même. Les services fiscaux demandent les factures du chantier pour établir le montant de cette T.V.A. sur les tranches 2 et 3. C’est un autre travail « de Castor » dans les papiers de la société qui est réalisé, au final à l’avantage des Castors. Lisez cet épisode cocasse dans la brochure de 2004.
Fin de l’épopée
Parallèlement à ce dernier rebondissement, le chantier se termine avec les travaux de Voirie et Réseaux Divers (V.R.D.) de la place des Lilas, de l’avenue du Bois et de l’avenue des Platanes (devenue depuis, l’avenue de l’Église).
Au moment de démolir le bureau et le magasin, installés dans la vieille ferme « Spertino », une vente d’outillage et de matériel est ouverte aux coopérateurs. Puis la ferme est détruite et un bureau provisoire est installé au centre commercial.
La dernière maison située sur la plus grande parcelle du lotissement, est mise en construction.
La Cité elle n’a pas encore pris son aspect définitif. Il reste des travaux de clôture,de peinture extérieure des maisons, et l’aménagement des abords.
L’Assemblée Générale du 18 juillet 1968 autorise la nomination d’un syndic afin de préparer la dissolution de la société. Le Conseil d’Administration recrute Monsieur SCIRE à cette fin mais aussi pour augmenter son poids juridique face à certains coopérateurs récalcitrants.
Ils gèrent ensembles l‘enlèvement des ordures, l’entretien de la station d’épuration, le paiement de l’éclairage axial, et résolvent les problèmes soulevés par les coopérateurs.
Le 23 février 1969, l’Assemblée Générale entérine l’attribution-cession pour le 3/4 des coopérateurs.
Le 8 juillet 1969, le 1/4 des coopérateurs restant reçoit son dû et la dissolution de la Société est officiellement actée. Les comptes de la société sont apurés. Les recollements de la station d’épuration et du réseau d’égouts sont effectués. Les voies et installations collectives deviennent la propriété de la commune.
La vie s’installe dans la cité et « Le plus grand chantier Castors de France entre alors dans les souvenirs ! »