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Le Ministre et les Castors

16 décembre 202318 décembre 2023 par Yohann Guiavarc'h

Cet article a été rédigé à la suite de la venue de Dominique Claudius-Petit, fils d’Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) à l’occasion de la célébration des 75 ans de la cité Castor de Pessac, samedi 14 octobre 2023.


« L’idée que les plus humbles ont droit à un habitat sain et que les villes bien construites consolident la démocratie et la justice sociale, a guidé la trajectoire de cet enfant de la République [Eugène Claudius-Petit] : devenu son représentant, il a participé à tous les événements qui l’ont secoué au XXe siècle »

Danièle Voldman,
directrice de recherche au CNRS,
Commémorations collection, 2007,
francesarchives.gouv.fr/agent/252448550 consulté en octobre 2023


Eugène Claudius-Petit – 1948

Notre regard de contemporain est interpellé par le recours direct des Castors au ministre. C’est un récit commun au vécu de plusieurs groupes : Lesneven, Quimper, Rezé, et bien sûr Pessac,… Lorsque leur situation semblait désespérée, ils sont directement allés à Paris. En retour, le ministre s’est aussi prêté à la visite de plusieurs chantiers. C’est une relation pleine de simplicité et de franchise ; les Castors faisaient le siège du bureau jusqu’à être reçus, forts de la recommandation des élus locaux[1]. Les échanges étaient cordiaux et francs : « C’est une invasion de parlementaires » s’esclame le ministre en apercevant les Castors de Rezé[2]. Jean Larvor, secrétaire du premier groupe de Lesneven, se plaisait à raconter qu’il avait apporté deux andouilles, spécialité culinaire de Lesneven, à Eugène Claudius-Petit alors à la tête du MRU (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme), celui-ci aurait alors répliqué : « vous cherchez à me corrompre » ce à quoi Jean LARVOR a répliqué « Non, juste à vous faire plaisir »[3].

Au-delà de l’anecdote, cette relation mérite d’être interrogée plus en profondeur, car elle est éclairante sur l’impact politique des Castors.

Les Castors dans la Reconstruction

Il faut tout d’abord souligner que les Castors n’ont pas leur place dans les programmes de la reconstruction. La priorité est donnée à la reconstitution de l’appareil productif et non au logement. La question du logement n’est même pas abordée dans le premier programme de reconstruction. Ceci est un choix bien français. Néanmoins Eugène Claudius-Petit n’adhère pas à ce programme. Pour lui, il conviendrait de consacrer entre 10 et 15 % du revenu national à la construction des 4 millions de logements manquants contre les 1 à 2 % actuels.

En 1952, en France, 20 logements sont construits pour 10 000 habitants ; en Allemagne, ce sont 99 logements qui sortent de terre ; 47 en Grande-Bretagne. L’industrie du bâtiment aurait pu être un moteur de la reconstruction. Mais le secteur du bâtiment demeure foncièrement artisanal après-guerre (250 000 entreprises employant 500 000 ouvriers et utilisant du matériel rudimentaire) [4]. Entre parenthèses, on peut d’ailleurs souligner tout l’apport des Castors au développement de ce secteur : techniques nouvelles, construction en série, formation de nouveaux personnels… C’est ainsi que les Castors de Saint-Pol-de-Léon sont considérés comme l’entreprise du bâtiment la mieux équipée du département et que les Castors de Lesneven continueront à œuvrer dans le secteur de la construction au travers d’une société coopérative, la SOLESCO qui devient ensuite la COLESCO.

Les Castors sont aussi exclus de la reconstruction car ce ne sont pas des sinistrés au sens des dommages de guerre. Ils ne peuvent donc pas bénéficier des fonds d’indemnisation. La France n’indemnise que les propriétaires. Le projet est de reconstruire à l’identique. Cela ne satisfait pas le ministre Eugène Claudius-Petit pour qui reconstruire, c’est se tourner vers le passé. Il est aussi conscient qu’il n’y a pas que les sinistrés de la guerre, il y a aussi les sinistrés de la vie[5]. Pour lui, il faut construire en faisant œuvre d’urbaniste. Il s’inscrit dans la suite du Corbusier. Il est rejoint sur ce constat par Michel Anselme, président de l’UNC (Union Nationale des Castors) qui en 1953 écrit dans la revue Esprit : « le principe fondamental de la loi de 1946 est l’institution du droit du sinistré à la réparation intégrale. La reconstruction du pays ne vient qu’après la reconstitution effective du bien détruit, et comme le disait un observateur anglais : la France reconstruit exactement ce qui a été détruit aux mêmes lieux, sans en profiter pour changer ce qui était à changer. Ainsi ce que le temps aurait mis en ruines pour le mieux des cités est systématiquement reconstruit pour des siècles, aussi la « reconstruction » est un secteur où les résultats sont relativement mauvais »[6].

En dehors de ces considérations générales, au niveau local, les Castors perturbent les plans d’aménagement dans un contexte de pénurie. Le plus souvent, les Castors s’installent en-dehors des périmètres urbains, ce qui oblige les communes à les étendre, entrainant l’extension des réseaux de voierie et de viabilisation. A Brest, la municipalité souhaite limiter le nombre de groupes Castors sur une même année pour ne pas dépasser son budget[7]. A Pessac, les Castors sont contraints de construire leurs propres château d’eau et station d’épuration car la commune refuse de les relier au réseau d’eau courante. De manière peu pratique, les Castors érigent leur cité dans des zones éloignées des commerces, des emplois, des infrastructures de transport, des écoles… Plusieurs groupes ont dû développer des projets parallèles pour pallier ces manques. S’y ajoute un motif politique : l’arrivée de 300 nouveaux électeurs dans des communes relativement petites peut déstabiliser l’électorat comme à Pessac ou Buxerolles. A Concarneau, le maire de l’époque souhaitait développer le tourisme, l’accueil d’une importante population ouvrière étant contraire à ses plans, il fit obstacle à l’implantation des Castors qui allèrent sur la commune d’à côté[8].

La création d’un cadre favorable à l’action des Castors

Le ministère permet la création d’un cadre favorable à l’action des Castors. Cela peut pourtant paraître paradoxal car les Castors soulignent l’inefficacité de l’action des pouvoirs publics en matière de logement.

Par bien des aspects, Eugène Claudius-Petit était l’homme de la situation. Il convient tout d’abord de souligner sa longévité exceptionnelle dans ses fonctions. Il est reconduit 6 fois

 Le Corbusier et Eugène Claudius-Petit

entre le 11 septembre 1948 et le 23 décembre 1952 avant un bref retour pour un intérim en 1954, année où il est aussi ministre du travail (juillet à septembre 1954). Passer plus de 4 années à la tête d’un même ministère relève de l’exploit sous la IVe République. Son fils rappelle que c’est un ministère dont personne ne voulait[9]. Cela lui permet de s’inscrire dans une action longue et donc de tenir ses engagements. Par ailleurs, il donne naturellement à ses fonctions une dimension urbanistique en adéquation avec sa formation, ses convictions et le nom de son ministère (MRU), donc une vision de long terme. De par ses origines modestes et ouvrières, ses engagements syndicaux et politiques bien ancrés à gauche et de tendance démocrate-chrétienne, il ne peut que se retrouver dans le système de valeurs des Castors. L’engagement dans la Résistance de ses réseaux a créé une fraternité entre ces hommes qui est capable de transcender les hiérarchies. Il existe cependant une divergence majeure entre les conceptions architecturales du ministre et celles des Castors. Le vertical et les grands ensembles voulus par la Charte d’Athènes s’oppose à l’horizontal des cités jardins des Castors. Le ministre choisit de passer outre dès le départ en disant : « je préfère que vous construisiez ça plutôt que rien du tout »[10]. Il faut noter au passage que certains Castors s’éloignaient beaucoup des conceptions architecturales modernes avant le plan Courant de 1953 et ses plan-types imposés pour bénéficier des primes de construction. Les maisons sont conçues pour faire face aux besoins de néo-urbains dont les modes de vie n’ont pas encore rejoint les standards des 30 glorieuses commençantes. Ainsi, à Douarnenez, les Castors souhaitent un escalier pour pouvoir accéder au grenier notamment pour les marins-pêcheurs qui doivent entreposer et faire sécher leurs filets de pêche au sec dans un lieu facile d’accès ; pour les services du MRU, une simple trappe suffirait. Un compromis est finalement trouvé, les escaliers ne seront bâtis qu’une fois les certificats de conformité délivrés[11]. Le choix des matériaux est très marqué par la tradition : ardoises et pierres pour la Bretagne à chaque fois que cela est possible. Au global, les Castors s’inscrivent pleinement dans l’idéal de la cité jardin. Pour certains, c’est même une manière d’échapper aux grands ensembles. Techniquement, il était difficile pour eux d’envisager de construire autre chose. Les immeubles Castors demeurent rares : un à Morlaix, quelques exemples en région parisienne où le foncier était plus difficile d’accès…

Succession des Ministres et des Ministères de 1947 à 1955

Nom du Ministre Périodes Dénomination du Ministère
Eugène Claudius-Petit 1947-1952 (Reconduit 6 fois). En 1947, il est le quatrième à occuper cette fonction. Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU)
Pierre Courant

1952

Maurice Lemaire

1953

Maurice Lemaire

1954

Ministère de la Reconstruction et du Logement
Eugène Claudius-Petit

1954

Ministère du Logement et de la Reconstruction
Jacques Chaban-Delmas

1954

Ministère de la Reconstruction et du Logement
Maurice Lemaire

1954

Ministère des Travaux Publics, du Logement et de la Reconstruction
Roger Duchet

1955

Ministère du Logement et de la Reconstruction

Extrait de VOLDMAN Danièle, « Reconstruire pour construire ou de la nécessité de naître en l’an 40 » in Les annales de la recherche urbaine n° 21, 1984, p. 67-84 consultée sur https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1984_num_21_1_1131.

NB : Les dénominations du Ministère sont révélatrices des priorités du moment.

La relation directe entre les Castors et le ministre est primordiale pour la constitution d’un cadre juridique permettant le passage à l’action des Castors. Tout commence avec la visite

                                                                                                                             Déroctage – Saint-Pol-de-Léon

des Castors à Eugène Claudius-Petit le 18 octobre 1948 qui conduit à la publication le 5 mai 1949 d’une première circulaire interministérielle (MRU, intérieur, finances) reconnaissant l’apport-travail dans la législation HLM. Ce principe fondateur du mouvement permet aux Castors de faire reconnaître leur force de travail comme apport-financier sans quoi les prêts leur seraient demeurés inaccessibles. A l’époque, il fallait fournir entre 10 et 25 % d’apport financier pour obtenir un prêt immobilier, ce qui était hors de propos pour des ouvriers de condition modeste. Autre texte facilitant l’action des Castors, le 4 mars 1949 est publiée une circulaire de la Sécurité sociale qui autorise les Caf à prêter de l’argent à des groupements coopératifs d’auto-construction fondés sur le principe de l’apport-travail. Malgré ces premiers textes, nombre de groupes peinent à démarrer essentiellement du fait de la faiblesse des crédits HLM ; une autre solution de financement doit être trouvée. Le 15 janvier 1952, une loi autorise le crédit foncier de France avec le sous-comptoir des entrepreneurs à faire des prêts à la construction. Les Castors vont s’engouffrer dans la brèche et les groupes bloqués vont, faute de crédits HLM, se tourner vers cette solution même si les conditions de financement sont moins avantageuses que les HLM mais plus faciles à obtenir (prêt à 6 % contre 2 %, prêts hypothécaires contre location-attribution). A Rezé, une première tranche de 34 puis une deuxième de 11 logements obtiennent des crédits HLM. Mais face à la lenteur de la délivrance des crédits, les Castors se tournent vers le Crédit foncier pour les 56 logements restants[12]. Dans le Finistère, le constat est le même : pas de financement au-delà des 153 premiers logements (groupes de Quimper et Plabennec) malgré les demandes des Castors. Les groupes vont donc massivement se tourner vers la seconde solution de financement qui devient la règle pour l’ensemble des projets. Le 12 août 1952, une deuxième circulaire ministérielle vient reconnaître officiellement cet apport travail en incluant la formule Castor dans la législation HLM : « il appartient d’orienter, d’encourager et de contrôler les initiatives de cette nature »[13]. Cette réglementation conditionne le développement du mouvement Castor pour qui 1949 est l’année du démarrage et 1952, l’année de la plus intense activité.

M et Mme Dominique Claudius-Petit  Pessac – Octobre 2023

Le soutien du MRU ne s’est pas limité à la reconnaissance juridique des Castors, le Ministère et ses services déconcentrés ont fait preuve de bienveillance à l’égard des groupements d’auto-construction. C’est une consigne ministérielle mais il n’est pas toujours facile de trouver un équilibre entre le politique et l’urbanisme. L’importance et le soutien donnés par Maurice Piquemal, délégué départemental du MRU pour le Finistère, sont sans équivoques. Il est présent lors des inaugurations et facilite les démarches administratives. Pour lui, « le navire des Castors flottera fièrement au-dessus de l’océan de la reconstruction, ce qui n’est pas peu dire dans le contexte de la reconstruction quasi-intégrale de la ville de Brest. Le MRU met à disposition de certains groupes ses architectes, comme à Pessac et Rezé. Cela facilite grandement la mise en conformité des dossiers avec la législation. C’est l’un des points forts de ce Ministère, allier les dimensions techniques et administratives malgré la valse politique qui ne l’épargne pas : « vingt-deux ministères, dix-sept hommes politiques, onze appellations différentes » entre 1944 et 1958. Enfin, le MRU malgré ses difficultés, a plutôt bonne presse[14] et avoir son soutien n’est pas un atout négligeable ; ses représentants sont des invités de marque pour les groupes Castors.

La solution Castor n’est pas destinée à devenir la règle en matière de logement. L’expérience a une forte valeur d’exemple qui se limite à quelques militants courageux et a un impact limité sur l’effort global de construction. Même si ce constat est à nuancer compte tenu du succès de la solution Castor en certains lieux : Finistère, région d’Angers, etc., il n’en demeure pas moins que les financements HLM ont été limités. Un seul agrément HLM était octroyé par département ce qui mettait les projets en concurrence quel qu’en soit leur nature[15] et obligeait à des manœuvres politiques pour prendre le contrôle de cet unique organisme départemental[16]. Dominique Claudius-Petit rappelle que l’action des Castors s’inscrit dans un contexte de pénurie et que cette initiative constructive ne pouvait trouver qu’un écho favorable auprès de son père qui se devait d’encourager l’action de ces hommes porteurs d’une solution. Le MRU est d’ailleurs « plus le symbole que le bras armé de la montée du rôle de l’Etat dans la construction faute de moyens suffisants »[17].

En ce qui concerne Eugène Claudius-Petit, son engagement en faveur du logement se poursuivra notamment de 1956 à 1973 lorsqu’il devient président de la société nationale de construction de logements pour les travailleurs immigrés.

Yohann Guiavarc’h  novembre  2023

 

 

 

 

 

 

[1] BANCON Daniel, Les Castors de l’Alouette (1948-1951), Princi Nague Editour, Pau, 1998, p. 20.

[2] RICHARD Charles, Un village dans la ville (Claire cité), Histoire d’une cite construite par les habitants eux-mêmes (Les Castors de Rezé), Elor, St Vincent sur Oust, 1996, p. 31.

[3] Témoignage de Jean Larvor, recueilli le 18 avril 2008.

[4] STEBE Jean-Marc, Le logement social en France, collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Paris, 2009 (1ère édition : 1998), p. 82/3.

[5] STEBE Jean-Marc, op. cit., p. 81.

[6] LE GOÏC Pierre, Brest en reconstruction, Antimémoire d’une ville, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2001.

[7] Les Castors de la chaumière brestoise, situés dans le secteur de Pen ar C’hleuz, sont informés par le premier-adjoint de la ville dès leur formation officielle à la fin de l’été 1954, que les crédits réservés aux groupements qui ont pris rang avant vous, absorbe déjà largement les disponibilités en vue pour l’aide à la construction ». Ils parviennent malgré tout à se faire financer l’installation d’un point d’eau sur le chantier et la pose des canalisations d’eau mais doivent faire l’avance pour l’électrification du chantier Source : archive municipale de Brest : Correspondance entre le groupe des Castors de la Chaumière brestoise et la ville de Brest, série 4 O 3.2 cité par GUIAVARC’H Yohann, Les Castors du Finistère, Master d’histoire contemporaine sous la direction de Christian BOUGEARD, UBO, Brest, 2010,  p. 134.

[8] Témoignage de Jean BOUSSOUGANT qui a animé plusieurs groupes Castors à Concarneau et ses environs.

[9] Témoignage de Dominique CLAUDIUS-PETIT, 14 octobre 2023 à Pessac.

[10] BANCON Daniel, op. cit., p.20.

[11] MAUGUEN Clet (d’après), « Les Castors » in Mémoire de la ville de Douarnenez n° 20, 1993, p. 19.

[12] RICHARD Charles, op. cit., p. 86 à 91.

[13] VILANDRAU Maurice, L’étonnante aventure des Castors, L’autoconstruction dans les années 1950, l’Harmattan, Paris, 2002, p. 36.

[14] VOLDMAN Danièle, « Reconstruire pour construire ou de la nécessité de naître en l’an 40 » in Les annales de la recherche urbaine n° 21, 1984, p. 67-84 consultée sur https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1984_num_21_1_1131.

[15] RICHARD Charles, op.cit., p. 28 à 30.

[16] GUIAVARC’H Yohann, Construire sa maison en commun, L’aventure des Castors, Collection bleue, n° 65, Skol Vreizh, Morlaix, 2012, p. 22/3.

[17] MESSU Michel, L’Esprit Castor, sociologie d’un groupe d’auto-constructeurs, L’exemple de la cité de Paimpol, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2007, p. 30.

Les Castors de l’Erdre ont 70 ans !

20 octobre 202121 octobre 2021 par Le Castor

Il s’en est allé…
Un nuage dans le ciel bleu de ces deux journées de fête !

Raymond Moreau en 2018

 

Raymond Moreau, le dernier bâtisseur, encore dans la Cité, le plus jeune à l’époque de la construction, a quitté sa famille, ses amis, les Castors…  la veille de la fête dont il se réjouissait par avance.

Lors de sa venue à Pessac pour le soixante-dixième anniversaire en 2018, son émotion au cours de son recit de la construction de l’Erdre avait touché tous les participants.
De retour à Nantes, « pour s’excuser » il nous a écrit une lettre pleine d’humanité et de tendre amitié, qui illustre bien ce qu’il était et l’esprit qui l’animait lui et les compagnons avec qui il a partagé cette belle aventure Castor.

Le film de la fête

Photos de Philippe Joalland – Montage de Marie-Pierre Joalland

Cliquer ici pour  le visionner

Patrimoine paysager à préserver

24 août 202125 août 2021 par Le Castor

Mérignac : Ils veulent perpétuer l’esprit des Castors

19 août 202119 août 2021 par Le Castor

Ode aux Castors du Merlan à Marseille

9 novembre 202010 novembre 2020 par Le Castor

Je suis moi aussi une fille des Castors du Merlan et voici ce que jai écrit en leur mémoire :

« Ode aux Castors du Merlan à Marseille »


Ils auraient pu être des milliers,
Cela viendra plus tard…
Sans logement, sans argent,
Ce n’était pas des va-nu-pieds
Simplement des courageux, des ouvriers
Des travailleurs et des parents.
Venus de toutes parts, mais surtout de Marseille
Ils s’appelaient Sorce, De Montis
Mignano, Charbonneau ou Cavaillès,
San Filippo  Bouvier ou Mounif,
Palméro,  Malfitano ou Erreip…
Pardon pour ceux que j’oublie….
A jamais dans mon coeur
Ils garderont leur place.
Pères de famille, sans refuser l’effort,
Prolongeant leur journée de labeur
Sans distinction de classe ou de races,
Pour donner un toit à tous les leurs
Bravant les coutumes et les us,
C’étaient des métallos, des maçons,
Des charpentiers, des carreleurs,
Portant à l’honneur  Monsieur Bernus
Qui s’imposa à l’administration
Faisant d’un marécage la cité des travailleurs.
Toujours l’effort et peu d’argent,
Ils bâtirent les Castors du Merlan
Où d’autres viendront encore.
On disait d’eux des « miséreux »,
Des « squatteurs », des « sans-abri »,
N’empêche qu’ils étaient courageux.
Nous sommes fiers d’en faire partie
Nous,  les enfants des Castors.
Nous étions tous frères et sœurs.
Nos pères s’entr’aidaient et parlaient fort.
Nous étions ceux dont on dira plus tard,
Des « quartiers Nord », des banlieusards.
C’est pas pour çà que nous, enfants,
N’avons brûlé ou dégradé en cassant.
Le respect de nos pères était notre devise
Et gare à celui qui se manquait  :
Un père était là pour rétablir la mise.
Pas besoin de structures sociales
Ou de centres de loisirs,
Nos mères étaient nos surveillantes,
Nos infirmières,  nos tendresses,
Pleines d’amour pour nous chérir,
Nous laissant jouer dans nos prouesses.
Voilà plus de soixante ans
Que nous vivions ici :
Mille neuf cent cinquante-trois..
Année de vie dure mais jolie…
J’en ai plus que çà,  mais je n’oublierai pas…
Je veux leur dire ici
Tout mon respect   tout mon amour
A ceux qui ont construit nos vies, nos jours.
Pas de mots assez grands
Pour dire plus d’un merci
A nos parents Castors du Merlan


Edith Cavaillès – Une enfant des Castors

L’histoire de la Cité du Merlan (ici)

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La place des femmes dans « l’aventure Castor »

25 avril 202017 mai 2020 par Yohann Guiavarc'h
La place des femmes dans « l’aventure Castor »

    La place des Femmes

    Il est un lieu commun à l’histoire officielle, c’est qu’elle laisse peu de place aux femmes. L’aventure des Castors ne semble pas échapper à cette règle à une époque où les femmes ont obtenu le droit de vote tout récemment et où elles n’ont pas encore le droit d’avoir un compte en banque en leur nom propre, ou bien encore de travailler sans l’accord de leur mari (il faut attendre 1965 pour cela). Elles sont aussi relativement absentes des archives de l’époque et leur rôle s’en trouve presque effacé.

    Pourtant les femmes n’en demeurent pas moins des actrices essentielles du mouvement Castor. A l’heure où beaucoup d’hommes ont disparu, elles sont les ultimes témoins de l’époque. Les Castors constituent une aventure familiale, d’où l’on ne peut exclure la femme, même si le rôle du chef de famille est beaucoup plus visible. La maison, but ultime de l’aventure, est le lieu de vie de la famille au premier rang de laquelle se trouve la femme qui constitue « l’âme de la maison »[1]. Elle est encore en cette fin des années 1950, dans la majorité des cas, une mère au foyer. Celles qui travaillent à l’extérieur du foyer, sont peu nombreuses, l’organisation familiale est alors atypique, les tâches du quotidien étant encore très chronophages. Il convient de s’éloigner de nos critères contemporains pour mesurer l’implication des femmes dans l’aventure des Castors.

    L’engagement en faveur du logement au féminin

    Les femmes ont fait leur entrée en politique depuis quelques années; elles occupaient des fonctions électives avant même d’obtenir le droit de vote en 1944. Dans les conseils municipaux, elles ont souvent hérité des questions sociales et parfois donc de celle du logement. Il y a en effet deux charges symboliques dans la question du logement : le volet social qui traditionnellement ferait plutôt basculer la balance du côté des femmes alors que le volet bâtisseur le ferait plutôt s’orienter vers les hommes.

    A Lesneven, dès le 30 janvier 1948, le maire souligne déjà l’implication d’une conseillère municipale, Mme Martin pour « l’effort accompli par elle durant ces derniers mois et des résultats nombreux obtenus grâce à son dévouement et sa persuasion » sur la question logement[2]. On note aussi le rôle prépondérant joué par les assistantes sociales. Dans cette même ville, Mme Odeye, conseillère municipale et assistante sociale, est membre du comité de patronage des Castors. On y retrouve également deux autres femmes : Mme Martin à nouveau et Mme Roudaut, pharmacienne. Les trois femmes du Conseil municipal élues en octobre 1947 sont membres du comité de patronage alors que ce même comité ne compte que 12 membres. Elles sont aussi toutes les trois membres de la commission de bienfaisance communale. A l’Arsenal de Brest, Mlle Baltenweg, assistante sociale au service social des armées (Asa) a joué un rôle de tout premier plan en faisant de son bureau, le lieu de recrutement des Castors de l’Arsenal qui en une dizaine d’années, réalisent plus de 600 logements dans la Ville[3].

    Germaine Etourneau-Copin

    L’étude des Castors de Buxerolles, menée par l’association « Buxerolles, Histoire et Patrimoine » a mis en avant le rôle de Germaine Etourneau-Copin qui a participé activement au lancement du COL à Buxerolles. Engagée dans la défense de la condition féminine, elle était chargée par le département de la Vienne de la réalisation d’une enquête pour étudier les conditions de vie des familles nombreuses. Un tel thème de travail ne pouvait que la conduire à croiser le chemin des Castors. Elle soutient donc les Castors, notamment en prenant part à l’accueil des civilistes sur le chantier.

    Christine Brisset

    Christine Brisset

    Ce tour d’horizon rapide ne peut se terminer sans citer Christine Brisset, qui œuvre à Angers en faveur des nombreux squats organisés dans la ville par les militants (au prix de nombreuses actions en justice) et des Castors d’Angers qui ont été fort nombreux. Elle occupe durant toutes les années 1950 une place importante dans le mouvement Castor, seule femme au milieu d’hommes dans les instances nationales. C’est un rôle et une personnalité unique qui a incarné le mouvement Castor dans tout un département. Elle n’a pas d’équivalent masculin. Etienne Damoran, pour Pessac s’est finalement assez vite retiré de l’action directe et le fonctionnement du COL est de nature plutôt collégiale. Pol Pasquet pour le Finistère a été modéré par l’Eglise et son action s’est surtout concrétisée à St-Pol-de-Léon malgré l’important partage d’expérience dont il a été l’une des pierres angulaires pour le Finistère[4].

    Toutes ces militantes de la première heure sont extérieures aux groupes Castors. C’est leur rôle social du fait de leur profession ou de leur mandat électif qui les a conduites à prendre un engagement fort en faveur des Castors, cette action s’étant souvent inscrite dans le cadre plus large de la question logement.

    Le chantier, c’est essentiellement l’affaire des hommes

    Les femmes en sont absentes, sauf pour la visite dominicale. Quelques clichés en témoignent. Elles jouent pourtant un rôle essentiel dans la continuité de la vie quotidienne durant le chantier ; elles sont aussi là pour veiller au grain et ouvrir l’œil : « La femme comme le mari, joue un grand rôle dans le travail Castor. Certes, elle n’est sur le chantier que pour voir où il en est (nos maris en sont contents), et se rendre compte de tous les efforts fournis et de l’état d’esprit qui règne dans le groupe, afin de pouvoir aider son mari à se rendre toujours meilleur (c’est souvent nous les femmes de nature un peu jalouse et impulsive, qui montons nos maris contre ce qui ne va pas) »[5]. Les journaux de liaison internes aux grands groupes comme l’Essor pour les Abeilles à Quimper même s’ils ne s’adressent pas directement aux femmes, permettent à celles-ci de se tenir informées de l’évolution du chantier. A Pessac, Daniel Bancon précise que les collecteurs passaient tous les mois dans chaque famille de Castor avec pour mission non seulement de récupérer la contribution financière des Castors, mais aussi et surtout pour faire le lien entre le Conseil d’administration et les familles.

    Visite du chantier par des femmes de Castors des Abeilles (Quimper-Logis breton)

    Les femmes ne semblent pas avoir à intervenir directement, même pour la préparation des repas les jours des grandes assemblées où les Castors recouraient à une importante manœuvre bénévole. Les archives ont en effet révélé qu’au moins à Lesneven, les Castors utilisaient les services d’un traiteur[6] ce qui n’exclut d’ailleurs pas une participation des femmes au service. C’est aussi la preuve qu’elles étaient mobilisées sur d’autres tâches. En outre, la réalisation d’un repas pour un nombre important de convives, qui plus est des invités de marque que constitue cette précieuse main-d’œuvre bénévole, nécessite du matériel dont les sociétés Castors ne disposent a priori pas. La Semaine Religieuse de Quimper et Léon en date du 21 mars 1952 envisage le problème de la place des femmes dans les groupes Castor en faisant des propositions qui ne sont pas sans rappeler les activités de l’action catholique très développée dans le département, qu’elle soit masculine ou féminine : « L’action-logement, dans la plupart des cas, engage les hommes. Elle les prend tous les dimanches. Les loisirs n’existent plus. Les militants sont appelés à se déplacer souvent. Le foyer, sa vocation, son unité subsisteront-ils devant de longues années de vie anormale qui requiert un effort aussi total ? Bien des familles sont à bout. C’est un fait. Il est urgent de remédier à cette difficulté. En certains groupes peu importants, les femmes sont aussi intéressées que les hommes à l’action-logement. On s’ingénie à leur donner des responsabilités à leur mesure : courrier, petites démarches, paiements. Ailleurs, on a commencé à réunir une petite équipe féminine pour chercher le rôle des femmes dans la construction de la cité : on parle d’une Exposition-logement, dans laquelle elles auront à traduire l’âme d’un foyer heureux, à étudier le meilleur aménagement du mobilier, le meilleur outillage ménager, l’ambiance pour l’éducation des enfants… »

    Mais dans l’ensemble, les femmes restent cantonnées à l’arrière, affairées aux lourdes tâches du quotidien pendant que les hommes travaillent au chantier. Dans le Finistère, il a été relativement courant d’intégrer une veuve ou un handicapé dans les groupes[7].  Ce membre supplémentaire doit alors compenser son absence de travail manuel par un autre moyen.

    Cela se traduit selon les groupes par :

            • un apport financier ;
            • une participation de premier plan à la gestion administrative du groupe ;
            • un remplacement sur le chantier par un membre de la famille ;
            • ou bien encore des calculs complexes en employant des ouvriers rémunérés ou bénévoles qui doivent aboutir à un total d’heure supérieur ou égal au nombre d’heures obligatoires.

    Adhésion des femmes au projet Castor

    1955: une castor avec son bébé sur le chantier de construction du 3ème groupe de Lesneven « Le Nid Lesnevien »

    Quelques indices montrent cependant une adhésion profonde au projet. C’est d’abord l’acceptation des privations familiales et financières liées à ces longues années de construction où le mari est sans cesse sur le chantier délaissant la vie de famille, ne rentrant que le soir exténué après une dure journée de labeur. En conséquence, « toute la responsabilité du foyer » retombe sur la femme[8]. Il arrive aussi que les liens interpersonnels des femmes jouent un rôle important dans la constitution des groupes. Ainsi à Lesneven dans les deux premiers groupes qui réalisent à eux deux 66 habitations, 5 femmes de Castors étaient issues de la même fratrie, 5 sœurs contribuant sans aucun doute à l’unité des groupes[9]. Elles peuvent aussi prendre une part active à l’administration des groupes. Si ce travail est le plus souvent très dévalorisé par rapport au travail manuel, il n’en demeure pas moins réel. Il ne fait donc le plus souvent même pas l’objet d’un comptage, y compris dans le cas où celui-ci était réalisé par des hommes. Pourtant Monique Vilandrau aidait son mari à établir les payes[10].

    A une époque où les femmes ne bénéficient pas de leur indépendance financière, sur les 168 souscriptions que recueillent le deuxième groupe de Lesneven, 20 % sont des femmes : veuves ou demoiselles. Parfois, le bon de souscription est aussi celui de Monsieur et Madame. On compte aussi parmi les souscripteurs, une religieuse. Le fait n’est peut-être aussi anecdotique car sur les chantiers, on ne voit que des hommes d’Eglise. Jean Boussougant, animateur de 4 groupes à Concarneau,  rapporte lui aussi, dans son autobiographie, qu’il a pu lancer son deuxième projet Castor à Concarneau en 1952 grâce à une religieuse en civil qui disposait d’un terrain et voulait y faire construire des logements sociaux. Elle aurait autorisé le commencement du chantier avant même la vente du terrain repoussant cette échéance au moment où le groupe aurait suffisamment d’argent pour la payer[11]. Moralement, les femmes ont aussi été d’un grand soutien pour les Castors. Jean Boussougant lors d’un entretien en 2015, confiait le rôle essentiel joué par les femmes que ce soit son épouse, Renée, sa secrétaire-comptable, Augustine… pour le soutien et l’aide à lever des obstacles qui paraissaient insurmontables. Cette participation extérieure et volontaire de femmes au financement des chantiers témoigne d’une adhésion large de celles-ci au projet Castor.

    Une conception avant-gardiste du logement de nature à améliorer la condition féminine

    Les nombreux témoignages recueillis par l’équipe de bénévoles de la MPT de Landerneau ont révélé la pénibilité de la condition féminine. La corvée d’eau est encore la règle pour nombre d’entre elles qui habitent souvent à l’étage dans des immeubles insalubres. La lessive se fait encore au lavoir. Le souhait est bien de trouver « plus de commodités que dans le petit logement insalubre où ils sont actuellement »[12]. Dans le numéro 2 du bulletin de l’Union nationale de Castors, Michel Anselme, président de l’Union Nationale des Castors livre un article intitulé :

    « Nos logements neufs doivent être la cause d’un allègement du travail ménager des femmes » : « Si l’on ne veut pas que le travail ménager constitue une tâche abrutissante, faite d’une succession de courses, de recherches, de besognes ingrates, effectuée à la hâte, il ne faut pas seulement s’appliquer à mettre un toit solide sur des murs neufs ! La mère de famille qui passe sa vie à la maison, doit y trouver, pour effectuer son travail, toutes les commodités nécessaires pour le faire. On n’y pense pas assez ! ».

    Il préconise une organisation de la maison et des pièces en fonction des tâches qui sont à y effectuer. Il a une vision très moderniste en évoquant l’aspirateur comme un objet courant qui doit donc avoir son placard et en parlant de la machine à laver comme « d’un achat urgent » pour réduire « le nombre d’heures passé à tel ou tel travail ». Dans les cités, il propose de mettre en place des « services communs » (garderies, coopératives d’achats, etc.) qui peuvent constituer « une cause essentielle de libération de la femme ».  Il considère le travail ménager comme étant effectivement « un travail » qui doit donc faire l’objet de progrès comme n’importe quelle autre profession, surtout que celle-ci regroupe 1/5e de la population. Pour lui, « l’élément principal du confort est inscrit dans le plan. Et […] il sera impossible, quels que soient les aménagements futurs, de réadapter une maison à sa vraie fonction, si on l’a laissé construire sans en avoir le souci ».

    Les numéros suivants proposent donc des études pour optimiser l’aménagement intérieur de leur habitation. Le numéro 3 de l’année 1951 explique le bon aménagement de la cuisine où « la maîtresse de maison travaille de 1200 à 1400 heures par an […], ce qui correspond à six ou sept mois de travail avec des journées de huit heures. La première idée doit être de ne pas réserver seulement aux classes supérieures la diminution de cette dépense de temps ».

    L’article traduit de la revue Das Wohnen, insiste sur deux points :

    Schéma illustrant la recherche du plan de cuisine idéal extrait de castor « service » n° 3, 1951

    la bonne disposition du fourneau, de la table de préparation et de l’évier (voir schéma ci-contre) qui constitue la base d’une cuisine et ne pourra pas être corrigée par la suite et « la hauteur la plus favorable » de l’évier à 93 cm et de 83 cm pour le fourneau, » calculée en fonction de la taille moyenne des femmes. L’auteur de l’article fait remarquer qu’il serait intéressant que la hauteur entre les deux éléments soit harmonisée mais « celle-ci n’a malheureusement pas encore été fixée ». Un autre article sur la réalisation des plans écrit par l’architecte Marcel Hézard explique que « la fatigue de la ménagère doit être réduite au minimum ». Néanmoins, il confirme les femmes dans leur rôle de femmes d’intérieur : [à propos de la salle de séjour], « on concevrait mal qu’une telle pièce ne soit pas constamment tenue en parfait état d’ordre et de propreté par la ménagère »[13]. Ces réflexions peuvent venir en appui du travail de conception des plans que les Castors réalisent avec leur architecte, du moins avant 1953 et l’adoption du plan Courant qui contraint à choisir parmi des plan-types homologués pour bénéficier du maximum de prime de construction au mètre carré.

    Publicité pour des lavoirs individuels (Source : Castors de Landerneau)

     

     

    Les Castors ont aussi bien souvent installé un lavoir individuel dans leur maison, ce qui est d’un grand intérêt car il permet de laver son linge à domicile en étant mieux protégé des intempéries et facilite le travail car la ménagère n’est plus obligée de se déplacer jusqu’au lavoir collectif pour faire sa lessive. C’est l’un des avantages offerts par l’eau courante, avec les sanitaires, l’évier, sans quoi il n’y a d’ailleurs « pas de vrai confort ».[14]

    Les femmes dans la cité après la construction

    C’est un fait : après la fin du chantier, la vie communautaire a beaucoup reculé. Les femmes ont souvent été pointées comme responsables. Le sociologue Bernard Legé, dans un article sur les Castors de la Monnaie à Angers, explique qu’au-delà de « la réflexion sexiste », l’intégration des femmes au groupe n’a eu lieu qu’après la fin du chantier et que celle-ci constitue un facteur de déséquilibre du simple fait du doublement du nombre de ses membres[15]. Cette affirmation peut être nuancée pour les groupes ruraux où les femmes se connaissaient déjà depuis longtemps et été socialement au moins aussi liées que les hommes même si elles n’ont pas le vécu les longs mois de chantier en commun. Il faut noter qu’il existait aussi des pressions de l’Eglise dans le Finistère pour limiter le risque de dérives communautaires. Il faut aussi insister sur l’importance d’un retour à une vie de famille normale après la fin du chantier. Le surinvestissement des responsables de groupe a pu aussi accentuer la volonté de retour à la normale, ceux-ci et leur famille souhaitant plus encore que les autres, un retour à la vie de famille ou retrouver leurs anciens engagements qu’ils avaient dû délaisser. On peut ajouter que dans la plupart des cités, malgré des souhaits affichés, les espaces communs sont réduits à leur strict minimum : circulations indispensables et tout au plus quelques placettes qui sont plus adaptées aux jeux des enfants et aux parties de pétanque qu’au développement de réalisations communautaires. Cependant, les femmes ont pu être engagées dans quelques réalisations qui ont eu lieu ici ou là.

    Marthe Gaillard

    A Pessac, Marthe Gaillard souhaitant intégrer le conseil d’administration du COL, est obligée de faire l’acquisition d’une action à titre personnel, celles de son époux ne lui donnant pas la qualité de sociétaire. Elle est élue et assure la présidence de la « Commission Sociale » de 1953 à 1957.

    Pour remédier à cette anomalie, au moment de l’attribution individuelle en 1979, le notaire doit préciser que la propriété des maisons était commune aux deux époux.

    A la suite de Daniel Bancon, on peut souligner que l’objectif des Castors était accompli et qu’il fallait bien « jouir d’une belle maison, d’un jardin et d’un confort qu’on avait jamais connu avant », les femmes ne sont donc pas responsables « du déclin de l’« esprit castor » ».[16]

    [1] Semaine religieuse de Quimper et Léon, le 7 juillet 1950.
    [2] Registre du Conseil municipal de Lesneven
    [3] CONQ Josette, « Des Castors à Lambé », in Mémoire de Lambézellec, n° 1, 2, 3 et 4, 2e, 3e, 4e trimestre 1995 et 1er trimestre 1996.
    [4] Pour Christine BRISSET, voir le documentaire de Marie Josée JAUBERT, On l’appelait Christine de 2005.
    [5] VILANDRAU Maurice, L’étonnante aventure des Castors, L’Harmattan, Paris, 2002, p. 150.
    [6] Fonds Jean LARVOR, secrétaire permanent du 1er groupe Castor de Lesneven.
    [7] Dans mes recherches, j’en ai relevé au moins 8 cas. Des études approfondies de la composition des groupes en révéleraient certainement d’autres, d’autant que cette pratique était encouragée par le diocèse et renforçait l’image positive des Castors.
    [8] VILANDRAU Maurice, op. cit., p. 148.
    [9] Recensement établi par l’équipe de bénévoles ayant travaillé sur les Castors de Lesneven en 2019.
    [10] YEPEZ Samantha, Pays Castor, documentaire de 55 minutes, 2015.
    [11] BOUSSOUGANT Jean, Quand un homme bouge, il fait bouger le monde, compte d’auteur, 2015, p 78/9.
    [12] VILANDRAU Maurice, op.cit., p. 148.
    [13] Ces deux numéros de « Castor « service » » ont été retrouvés dans les archives d’Hubert POLARD à Landerneau ce qui témoigne de la circulation de ces documents au moins à destination des responsables de groupe.
    [14] Essor n°10, mars 1953, revue de liaison interne des Castors des Abeilles de Quimper.
    [15] LEGE Bernard, « Les Castors de la monnaie, Naissance et mort d’une épopée » in Terrain n°9, octobre 1987.
    [16] BANCON Daniel, Les Castors de l’Alouette (1948-1951), Princi Negue Editour, Pau, 1998, p. 86.

Un commentaire sur La place des femmes dans « l’aventure Castor »

Souvenirs d’enfance aux Castors du Merlan à Marseille

14 avril 202011 novembre 2020 par Le Castor

J ai trouvé  votre adresse au hasard d’un site qui parle du mouvement historique des castors. J’ai grandi aux castors du Merlan où mes parents ont vécu jusqu’à leur fin.
Je suis la fille de Christiane et Guy Perez, anciennement au 2 allée des Ardennes.
Je viens d ‘écrire un texte qui s’inscrit dans mes souvenirs de quartier et c’est pour contextualiser ce récit que j ai cherché à documenter l histoire des castors.
De fait, je vous livre ce court texte il rappellera peut-être des souvenirs à quelques uns.
Pour ma part ce fut des années heureuses ».

Viviane Perez

Souliers vernis

C’était en fin d’après-midi. Un mercredi , et comme il n’y aurait pas classe demain, maman avait permis que nous ressortions jouer dehors. Ce n’était pas fréquent, sans doute que la belle lumière de cette fin de journée de printemps n’y était pas pour rien… Et puis, dans quelques jours, ce serait les vacances alors nous pouvions profiter. Il avait fait chaud dans l après midi… Le retour de la belle saison réjouissait les cœurs. De l’autre côté de la rue, tout près de la maison, se trouvait le « stade ».  À cette époque là, il n’avait de stade que le nom… Deux poteaux miteux surmontés d’une barre en travers à chaque extrémité, façon but de foot, fabrication des minots du quartier… Il fallait éviter de s’en approcher de crainte de prendre la barre sur la tête ! Pour le reste, une grande étendue de terre, bourbeuse l’hiver, craquelée l’été avec quelques îlots d’herbe verte, qu’on aurait difficilement appelée pelouse… De la baouque plutôt, comme on dit ici.
Chaque motte était sans doute responsable d’au moins une chute !
Donc, nous étions ressorties, radieuses, rejoindre les copains du quartier. Dans notre cité, tout le monde se connaissait, les pères avaient collaboré de longs mois pour faire sortir de terre, un après l’autre, chacun des soixante-quatre bâtiments qui constituaient les habitations d’un peu plus d’une centaine de familles. Une cité « castors » selon le modèle initié par des coopératives ouvrières locales après le terrible hiver 1954.
Chaque adhérent s’engageait à fournir un volume d’heures et à régler à crédit une somme correspondant à son tantième de participation à l’achat du terrain et des matériaux . A la fin, les lots avaient été attribués par tirage au sort, un logement plus un jardin pour chaque famille, et surtout adapté à la composition de celle-ci. Cette entreprise participative qui pouvait paraître utopiste au départ avait donné corps à un biotope où nous, les enfants, grandissions dans un climat bienveillant et sécurisé.
Ce soir là, nous étions nombreux à profiter d une permission exceptionnelle. Les plus grands devaient avoir dans les quatorze ans. Je faisais partie des plus jeunes. Il était annoncé de longue date que le stade allait être mis à niveau pour accueillir correctement les rencontres entre équipes de quartier. On devait y construire des vestiaires, réhabiliter le revêtement et même l’entourer d’une enceinte qui protégerait les nouvelles installations. Pour ce faire, avaient défilé une noria de camions-bennes et plateaux qui avaient déposé sur le site une grande quantité de matériaux de construction. Des piles de parpaings par ici, un empilement de sacs de ciments par là, un mikado géant de poutres en béton mais surtout une montagne de sable presque aussi haute que la maison des voisins.
C’était là l’objet de notre convoitise et le lieu du défit du jour. Les inventeurs-meneurs du jeu avaient tout de suite édicté la règle: « Tenter d’atteindre le
sommet de la fausse colline ». Nous étions déjà plusieurs compétiteurs mais la butte était si large que nous pouvions tous nous y essayer. Inutile de préciser que cette dune résistait bien à nos assauts. Ma sœur avait commencé par me dire que nous risquions de nous faire gronder en rentrant. Maman n’aimait pas l’idée qu’on se salisse « par plaisir ». Tomber, être éclaboussé par hasard, cela pouvait passer mais se rouler dans le sable, hormis au bord de la mer, c’était exclu.
Cependant le plaisir était grand de tenter cette escalade. Plus le sable nous tenait tête et plus nous insistions ! Il faut dire que c’était le plaisir de la plage et de la fête foraine réunis. Au début, le sable était tiède, les rayons du soleil ayant chauffé toute la journée sa surface grise. On montait, deux pas, six pas, en levant bien haut le genou pour gagner du terrain… Et aussitôt, on redescendait d autant, s’enfonçant jusqu’aux cuisses dans ce sable rugueux et doux à la fois qui dégageait une odeur humide. Maintenant qu’on l avait brassé, la couleur gris pâle de la surface s’assombrissait au fur et à mesure que notre labour progressait. La marmaille s’en donnait à cœur joie, nous devions être une bonne trentaine à exercer ainsi nos talents de grimpeurs, dans la bonne humeur. Qui riait, qui s exclamait surpris dans sa glissade ! L’autre l’interpellait, se moquait, un troisième tendait la main et finissait par rouler avec le moulon d’enfants qui glissaient inexorablement vers le bas. L’heure tournait et les rayons du soleil arasaient maintenant le sommet, les ombres s’allongeaient. Malgré la tiédeur du sable, on sentait qu’il faisait moins chaud, mais c’était largement compensé par l’énergie collective déployée pour vaincre la montagne. Personne n avait réussi à atteindre vraiment le sommet; seuls quelques-uns parmi les plus jeunes -et surtout les plus légers – l’avaient presque vaincu, finissant par renoncer en débaroulant sur les autres dans une explosion de cris et de rires. Petit à petit, on commença à entendre l’appel des mères qui voulaient récupérer leur progéniture. Une après l’autre, quelques fratries abandonnèrent la partie.
Soudain, maman était là, devant moi. Immédiatement, je compris qu’elle désapprouvait. Son délicieux regard transparent s’était mué en lame d’acier. Ne pas pleurer, ce n était pas le moment.
– Les filles, à la maison, on rentre !
Au moment de la suivre, elle se rendit compte qu’il nous manquait les chaussures. Ma sœur, plus maligne que moi, les avaient soigneusement mises à l’abri à quelques mètres de là… Mais moi, tout à mon jeu, j’avais à peine réalisé que je les avais perdues, c’était d’ailleurs bien plus agréable nu-pied. Mais, où étaient mes jolis souliers vernis maintenant ? La nuit descendait doucement. Quelques mères, constatant comme la mienne que les chaussures manquaient à l’appel, revinrent avec des torches à piles, espérant en vain retrouver les fameuses chaussures… Au bout d’un moment, il y eut même quelques papas, avec des pelles, qui continuèrent à retourner le sable. Qui retrouva une chaussure, qui retrouva les deux… Une longue file de chaussants disparates s’aligna laborieusement…
En ce qui me concerne, nous n’en retrouvâmes qu’une seule, mais sans un tel état que maman renonça à chercher la seconde ! De toute façon, c’était irrécupérable. On aurait pu tout essayer, du cirage au morceau de beurre, rien n aurait pu restaurer la surface autrefois brillante comme un miroir. Bien sûr, à chaque achat de chaussures neuves, on me rappela scrupuleusement qu’il serait interdit de jouer dans le sable avec et encore moins de s’y déchausser.
Un demi-siècle plus tard, l’évocation de souliers vernis me ramène à cette épopée enfantine qui est gravée dans ma mémoire.

Viviane Perez, le 31/03/2020.

L’histoire de la Cité du Merlan (ici)

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« L’Apport-Travail » la spécificité du « Système Castor »

10 août 201923 avril 2020 par Le Castor

    « L’Apport-Travail »

    La spécificité du « Système Castor »

    Pour la première fois, grâce aux démarches des Castors pessacais,(ils seront trois à faire le siège du bureau du ministre toute une journée : Etienne Damoran, Pierre Merle et José Béracochéa)

    par sa circulaire du 12 août 1951, signée par Eugène Claudius-Petit, Ministre de la Reconstruction, l’Etat français reconnaît « l’Apport-Travail » comme mode de financement acceptable, donnant accès à des aides publiques complémentaires.

    « l’Apport-Travail » devenait donc une force d’appoint, puisque le travail des Castors réalisé sur les chantiers a représenté, suivant les cas, entre 15 et 20 % du coût des opérations.

    Il permettait à ceux, et la quasi totalité des candidats Castors étaient dans ce cas, qui n’avaient pas les moyens d’avoir un apport personnel, de prétendre à la propriété de leur logement.

    Il servait de garantie pour les emprunts contractés auprès des établissements financiers, et permettait de bénéficier des aides de l’état et des organismes sociaux comme les Caisses d’Allocations Familiales qui joueront un rôle déterminant dans la réussite des Castors.

    A ce titre, suivant les dispositions prises par le règlement de chaque Cité, chaque Castor devait fournir un temps de travail : entre vingt quatre et trente deux heures par mois, plus deux semaines prises sur les congés payés (qui étaient de trois semaines à l’époque).

    … « J’ai souvent réfléchi, pour ma part, à la qualité, à l’impact du mouvement auquel nous avons tous été associés. Et je vais vous dire ce qui me paraît la révolution principale de l’époque, l’essentiel… Ecoutez bien !

    C’est que, pour la première fois, dans une société où l’argent est roi, et où on ne prête qu’aux riches…
    Pour la première fois, l’Etat français a accepté qu’un emprunt soit garanti, non pas par des biens matériels, ou par des capitaux, mais par du travail ! …
    C’est la victoire la plus importante de notre mouvement ! La reconnaissance de la priorité du travail !

    Et, sur le plan administratif, cette reconnaissance s’est traduite dans l’acte qui nous accordait un emprunt, par trois signatures : celle du Ministre de l’Intérieur, celle du Ministre des Finances et celle de Claudius-Petit, Ministre de la Reconstruction »…

    Etienne Damoran
    Prêtre-Ouvrier
    Initiateur de la première Cité Castor de France
    Homélie du 40e Anniversaire de la Cité des Castors de Pessac en octobre 1988

    La mis en pratique de cette règle sera le critère déterminant pour définir l’appartenance ou pas, d’une initiative d’auto-construction de logements, au « mouvement Castor ».

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Les précurseurs du « Mouvement Castor »

17 juin 201914 avril 2020 par Le Castor

    Ailleurs aussi les hommes se sont mis à construire !

    Union Nationale des Castors

    A Saint-Etienne, le Cottage Stéphanois commençait son chantier d’une centaine de pavillons en 1931. Il y eut beaucoup de difficultés, ce qui provoqua beaucoup de découragement et de nombreux abandons, au total vingt-deux maisons seulement furent construites.

    Tirant la leçon de ces expériences, les Castors de Pessac en conclurent que les chantiers castors ne devaient pas connaître d’arrêt, sous peine de courir à l’échec. Ils voudront également se démarquer à tout prix de l’image du « Constructeur du dimanche ».

    A l’étranger, après la seconde guerre mondiale, un mouvement d’auto-construction va également se développer, et pour les mêmes raisons, améliorer de la façon la plus économique possible les conditions de logement des habitants.

    A Stockholm, par exemple, entre 1927 et 1951, la ville réalise 5 500 pavillons grâce à l’auto-construction. Toute l’organisation était prise en charge par la municipalité comme l’indiquent les affiches incitant à l’auto-construction : « Les seuls capitaux dont vous avez besoin pour bâtir votre maison sont vos mains, la ville fait le reste : elle procure le terrain (500 m2) avec un bail de soixante ans, tous les matériaux nécessaires à la construction de la maison standardisée, prêtes à être assemblée, des moniteurs pour vous guider dans votre travail…..
    En Belgique, c’est la Société Nationale de la Petite Propriété Terrienne qui encouragea et organisa l’auto-construction.
    En Hollande soixante-quatre ouvriers de Philips entreprennent de construire leur maison grâce à l’aide de leur employeur. En Allemagne, en Angleterre au Canada c’est l’église et l’état qui encouragent et aident les candidats à l’auto-construction. Dans de nombreuses régions d’URSS, les soviets locaux ont pu mettre à la disposition des constructeurs les matériaux, les plans et les techniciens, seule la main d’œuvre était fournie par les usagers eux-mêmes.

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